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17 juin 2021

La Grande formation de la CNDA se prononce sur les conditions relatives à l’asile interne. La situation examinée concerne les personnes originaires de Mopti exposées à des menaces graves résultant de la violence aveugle crée par le conflit armé au Mali.

Saisie d’un recours introduit par un ressortissant malien issu d’une famille d’éleveurs peuls de la région de Mopti, la Grande formation de la CNDA s’est interrogée sur les conditions permettant de regarder les villes de Bamako et de Kayes comme des zones d’asile interne au sens de l’article L. 513-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Les allégations du requérant relatives à des craintes de persécution de la part de membres de l’ethnie dogon ayant été regardées comme dépourvues de crédibilité, la Cour a été conduite à apprécier si l’intéressé pouvait être exposé à des menaces graves du fait de la violence aveugle générée par le conflit armé dans la région de Mopti. A cet effet, la Grande formation a procédé à l’évaluation du niveau actuel de violence, conformément à la méthode générale d’analyse exposée dans ses précédentes décisions du 19 novembre 2020 (CNDA GF 19 novembre 2020 M. N n° 19009476 R et CNDA GF 19 novembre 2020 M. M. n° 18054661 R). Cette appréciation des différents critères qualitatifs et quantitatifs pertinents a conduit la Cour à confirmer que dans la région de Mopti existe actuellement une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle. Dans ces conditions, la Cour juge que du seul fait de sa provenance, le requérant serait personnellement exposé à une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé, au sens du 3° de l’article L. 512-1 du CESEDA.
La Cour procède avant de tirer les conséquences de cette appréciation qui devrait conduire à l’octroi d’une protection subsidiaire, à l’examen d’office de la possibilité d’un asile interne au Mali, en dehors de la région de Mopti. A cet égard, la Cour rappelle les conditions d’application de l’article L. 513-5.
Elle précise tout d’abord la procédure qui doit être suivie en jugeant que l’application de l’asile interne ne peut être opposée aux parties sans que celles-ci aient été mises à même de présenter leurs observations sur celui-ci.
Elle précise ensuite l’office du juge : celui-ci doit, en premier lieu, déterminer si l’intéressé peut avoir accès à une protection sur une partie substantielle du territoire de son pays d’origine, désigner cette partie du territoire et établir que le demandeur sera en mesure d’y accéder en toute sécurité. Le juge doit, en second lieu, s’assurer que le demandeur pourra s’établir dans cette partie du territoire et y mener une existence normale. Il convient ainsi de prendre en compte les risques auxquels l’intéressé pourrait être exposé durant le trajet depuis son point d’entrée dans le pays d’origine jusqu’à son arrivée dans la zone de protection envisagée. La protection dans la zone d’asile interne doit être assurée de façon suffisamment stable pour y permettre un établissement pérenne et une existence normale. L’établissement dans une telle zone doit constituer une alternative raisonnable et, à ce titre, l’effectivité du respect des droits et libertés fondamentaux et les conditions économiques et sociales y prévalant sont à prendre en compte ainsi que la situation personnelle du demandeur, notamment son âge, son genre, un éventuel handicap ou une situation particulière de vulnérabilité. Le seul fait que le niveau de vie de l’intéressé diminue ou que son statut économique se trouve dégradé du fait de cette installation ne suffit pas à écarter la possibilité d’asile interne dans la région identifiée.

Faisant application de cette méthode, la Grand formation a ensuite examiné la situation existant dans les régions de Bamako et de Kayes du point de vue de ces critères. En ce qui concerne Bamako, la Cour a estimé que la capitale était accessible sans risque et que le requérant n’y serait pas exposé à des persécutions ou des atteintes graves. En revanche, en l’absence de parentèle dans cette ville, l’intéressé, du fait de son origine peule et de sa provenance de la région de Mopti, serait probablement amené à s’installer dans un camp de personnes déplacées de la périphérie de Bamako. Au vu des conditions de vie très dégradées constatées dans ces camps, la Cour juge que le requérant ne bénéficierait pas dans la capitale malienne de conditions d’existence permettant de lui faire application des dispositions de l’article L. 513-5.

En ce qui concerne le retour vers le district de Kayes, la Cour constate que celui-ci n’est plus desservi par voie aérienne ou ferroviaire à la date à laquelle elle statue. Les conditions de sécurité actuelles sur les axes routiers Bamako-Kayes excluant que le requérant puisse se rendre en toute sécurité dans le district de Kayes par voie routière, la Cour juge que ce district ne constitue pas une zone d’asile interne au sens des dispositions de l’article L. 513-5 du CESEDA. L’intéressé se voit accorder en conséquence le bénéfice de la protection subsidiaire (CNDA GF 15 juin 2021 M. S. n° 20029676 R).

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