Russie : Les Russes ayant refusé de participer à la guerre en Ukraine peuvent obtenir le statut de réfugié

Décision de justice
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La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) juge que les Russes fuyant la mobilisation pour la guerre en Ukraine et les mobilisés ayant déserté peuvent obtenir le statut de réfugié. En effet, un ressortissant russe appelé dans le cadre de cette mobilisation est susceptible de commettre, directement ou indirectement, de crimes de guerre.

La législation européenne sur l’asile, issue d’une directive du 13 décembre 2011, prévoit que la qualité de réfugié peut être accordée à une personne qui serait menacée de poursuites ou de sanctions pour avoir refusé d’effectuer le service militaire en cas de conflit où pourrait être commis des crimes de guerre. En droit international, on entend par « crimes de guerre » les violations graves du droit international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants ennemis à l’occasion d’un conflit armé international ou interne.

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que cette législation vise la situation dans laquelle le service militaire accompli supposerait lui-même, dans un conflit déterminé, de commettre des crimes de guerre y compris lorsque la personne ne participerait qu’indirectement à la commission de tels crimes. Il faut que le refus d’effectuer le service militaire constitue le seul moyen permettant au demandeur du statut de réfugié d’éviter la participation aux crimes de guerre allégués. Et il existe une forte présomption que le refus d’effectuer les obligations militaires se rattache à un motif de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié.

Réunie en Grande Formation, la CNDA a estimé, par une décision du 20 juillet 2023, que les Russes refusant de se soumettre à la mobilisation décrétée par les autorités dans le cadre de la guerre en Ukraine devaient se voir reconnaître le statut de réfugié sur le fondement de cette législation.

La Cour a constaté que plusieurs enquêtes menées sur les crimes de guerre commis en Ukraine concluaient à l’existence de crimes de guerre commis par les forces armées russes dans le cadre du conflit international en Ukraine. Elle a notamment relevé qu’une commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies avait pointé la gravité et l’étendue des violations des droits humains et crimes de droit international commis à grande échelle par l’ensemble des forces armées russes.

La Cour a également constaté que la mobilisation décidée par le Président Poutine le 21 septembre 2022 était particulièrement large compte tenu des règles régissant la réserve en Russie qui ne comprend pas seulement les hommes russes ayant accompli leur service militaire.

S’appuyant sur des sources internationales, et notamment un rapport de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile publié en décembre 2022, la Cour a constaté qu’il n’était pas possible d’échapper au service militaire pendant la période de mobilisation partielle en accomplissant un service civil alternatif et que la mise en œuvre de la mobilisation avait été entachée de nombreuses irrégularités s’agissant tant du public concerné que des procédures de mobilisation. Elle a également constaté que la mobilisation partielle reste encore en vigueur en droit et en fait même si le ministre de la défense avait annoncé que l’objectif de mobilisation était atteint en 2022. Elle a également constaté que les réfractaires à la mobilisation s’exposent à des poursuites et à des sanctions pénales récemment renforcées par la loi russe.

L’ensemble de ces constatations ont conduit la Cour à juger qu’un ressortissant russe, appelé dans le cadre de la mobilisation partielle du 21 septembre 2022 ou d’un recrutement forcé, doit être regardé comme étant amené à commettre, directement ou indirectement, des crimes de guerre étant donné l’objet même de la mobilisation partielle, l’impossibilité de refuser un ordre de mobilisation et compte tenu des conditions de déroulement du conflit armé marqué par la commission à grande échelle de crimes de guerre par les diverses unités des forces armées russes, que ce soit dans les territoires contrôlés par l’Ukraine ou dans les territoires actuellement placés sous contrôle des autorités russes. Dans ces conditions, les insoumis à cette mobilisation et les mobilisés ayant déserté sont exposés à des sanctions constitutives d’actes de persécution au sens de la législation européenne.

Il appartient toutefois au demandeur de fournir l’ensemble des éléments pertinents permettant d’établir qu’il est effectivement soumis à une obligation militaire dans le cadre de la mobilisation partielle ou d’un recrutement forcé. La seule appartenance à la réserve ne suffit pas à démontrer qu’un ressortissant russe serait effectivement amené à participer directement ou indirectement à la commission de crimes de guerre.

Dans le cas d’espèce qui lui était soumis, la CNDA a estimé que les déclarations et les pièces produites ne permettaient pas de d’établir que le requérant avait été mobilisé dans le contexte de la guerre conduite par la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Elle a également constaté que le requérant avait été exempté du service militaire en 2013 et qu’il avait fui son pays en 2019 en invoquant des craintes familiales et religieuses.

CNDA GF, 20 juillet 2023, n°21068674. 

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Contacts presse : pole-presse@cnda.juradm.fr