« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le quatrième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 a rappelé un principe inscrit dans notre histoire depuis la Révolution française et que confortent nos engagements internationaux, qu’il s’agisse de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de nos engagements au niveau européen, dont le « paquet asile », directives adoptées le 26 juin 2013, représente la dernière traduction juridique. La France a toujours porté haut cette tradition d’accueil et d’intégration à l’égard des personnes menacées dans leurs propres pays. Des dizaines de milliers de personnes se prévalent, chaque année, de ce droit à être accueillies et prises en charge par notre République. C’est une tradition dont nous sommes tous collectivement fiers : nous, la France, patrie des droits de l’homme. C’est aussi aujourd’hui un droit menacé par l’afflux d’une immigration économique massive qui témoigne de la pauvreté et des difficultés d’une grande partie du monde. L’Europe est devenue synonyme d’espoir d’une vie meilleure pour tous ceux qui choisissent l’exil. Au bout du chemin, notre pays renvoie aujourd’hui à des procédures à bout de souffle qui ne permettent plus de distinguer les demandeurs d’asile dans un afflux de demandes qui dévoient nos règles d’accueil. Qui n’a été choqué récemment de penser que nous ne pouvions pas accueillir, en plus grand nombre, les victimes du conflit syrien, tandis que nos structures d’accueil hébergent une majorité de personnes qui ne devraient pas y séjourner. La vérité des choses, c’est un système qui craque « de partout » : trop complexe, trop de délais, trop d’incertitudes avant d’être fixé sur son sort et au final, pour ceux qui ne pourront pas rester, un trop grand arrachement alors même que, pour beaucoup, ce sort était parfois prévisible dès les premières démarches. Comme ne pas avoir été pris à la gorge par un tel « gâchis » ? Pas assez d’attention et d’accompagnement pour ceux qui méritent pourtant, maltraités par la violence politique, la torture et la guerre, de recevoir toute notre aide pour se reconstruire. Pas assez d’humanité et pourtant tant de dévouement de la part de tous ceux qui œuvrent quotidiennement à maintenir à flots un système submergé par la quantité des arrivées. C’est cette urgence à vouloir redonner tout son sens à notre tradition d’accueil qui nous a déterminés à accepter la mission que nous a confiée M. le Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, lorsqu’il nous a proposé de piloter cette concertation sur la réforme du droit d’asile. Nous n’étions, ni l’un ni l’autre, des spécialistes de cette question. Bien sûr, en tant qu’élus locaux, nous n’étions pas ignorants de cette réalité que nous avions pu appréhender à travers les structures locales d’hébergement d’urgence de nos communes et des situations particulières. Bien sûr, le Rhône et le Nord sont deux terres de passage, où les mots intégration et dignité résonnent de l’histoire de tant de migrants qui y ont fait souche. Bien sûr nos histoires personnelles, du soin aux malades à l’accompagnement social des personnes, 6 nous ont façonné des regards proches de l’humain, sensibles à l’injustice, soucieux d’alléger la souffrance physique comme morale, mais nos métiers respectifs nous ont aussi appris à rester pragmatiques et conscients de la réalité des choses. C’est dans cet état d’esprit, ouverts et sans à priori, que nous avons souhaité ouvrir, à la demande du ministre, la concertation la plus large et la plus transparente possible. Toutes les contributions ont été les bienvenues. Les quatre ateliers thématiques ont permis d’aborder dans le détail toutes les questions que le comité de concertation, faute de temps, ne pouvait aborder que succinctement. Nos déplacements dans des préfectures particulièrement touchées par l’afflux de demandeurs ont permis de mettre du concret et des visages sur les processus administratifs décrits par les travaux et rapports qui avaient déjà largement défriché le paysage. Nos visites auprès de l’OFPRA et de la CNDA nous ont permis de mieux appréhender les procédures, leur souci de la protection des droits des personnes mais aussi leurs lenteurs et leurs aléas. Nous ne sommes pas partis de rien et nous tenons à remercier tous celles et ceux qui nous ont apporté leur éclairage et leur expertise sur un sujet qui ne laisse jamais personne indifférent. Autant l’écrire ici, nous nous sommes passionnés pour cette mission. Nous n’avons compté ni notre temps, ni notre énergie. Après chaque déplacement, chaque réunion, nous avons passé de longs moments à débattre entre nous, afin de tenter de nous forger une conviction sur le bien-fondé de toutes les propositions qui nous ont été soumises. Ce que vous allez lire est le résultat de ces travaux au terme de ce temps de concertation. Certains regretteront peut-être qu’il y manque d’autres voix, d’autres réalités locales que le manque de temps a pu empêcher de saisir. Nous assumons cela car nous assumons l’urgence à faire des propositions, préalable à l’urgence à légiférer et à mettre en place une réforme qui viendra sauvegarder le principe du droit d’asile aujourd’hui menacé. Au terme de cette concertation, nous sommes convaincus que cette réforme doit clarifier la situation actuelle. Nous avons vocation demain à mieux accueillir les demandeurs d’asile, reconnus comme tels, leur assurer un meilleur accueil et un accompagnement plus efficace vers le logement et l’emploi. Cet objectif ne pourra être atteint qu’en améliorant nos procédures et en raccourcissant les délais d’instruction des dossiers. Nous sommes redevables aux demandeurs d’asile d’un accueil digne. Pour cela, nous ne pouvons plus continuer à concentrer tous les publics demandeurs sur quelques points d’entrée de notre territoire. Est-il acceptable que 40% des demandeurs soient regroupés en Ile-de-France, là où les tensions sur l’hébergement et le logement sont déjà à leur paroxysme ? Comment ne pas voir que cela met en péril l’acceptabilité même de notre politique d’asile ? Dans ce rapport, nous nous prononçons donc pour un pilotage directif des personnes dès leur entrée dans notre pays. Seule une meilleure répartition géographique des demandeurs peut permettre d’offrir un hébergement et un accompagnement plus respectueux de la dignité des personnes, dans l’attente de la décision finale. Ce sera au bénéfice des demandeurs d’asile auxquels cette répartition permettra d’offrir une prise en charge plus qualitative. Seule cette démarche volontariste pourra garantir à certaines communes aujourd’hui dépassées par les flux d’entrée que l’effort est équitablement réparti et qu’il ne pèse pas toujours sur les mêmes. Pour certaines communes, l’afflux des demandeurs d’asile sur leur territoire est aujourd’hui vécu comme une « double peine », est-ce acceptable ? Nous ne le croyons pas. 7 Une fois la décision définitive acquise, nous proposerons d’améliorer la prise en charge de celles et ceux qui obtiennent la protection de la France, jusqu’à leur intégration, en simplifiant leurs démarches, en améliorant la prise en charge des familles et les conditions d’hébergement. Dans cette procédure rénovée, le réfugié doit être mieux accompagné. En revanche, pour tous ceux qui ne rempliront pas les critères d’admission à l’asile, nous souhaitons que notre pays ne les maintienne pas dans l’incertitude pendant de trop longs mois. Nous devons statuer, avec toutes les garanties nécessaires, de la manière la plus rapide possible, et prévoir pour eux un cheminement spécifique qui les prépare à repartir dans leur pays d’origine. Car leur « maison » n’aura pas vocation à être en France. Là encore la responsabilité de notre pays ne doit pas s’arrêter à nos frontières mais il est de notre responsabilité collective, et également européenne, de développer des politiques de coopération efficaces avec les pays de départ, afin de les soutenir dans leurs efforts de développement. Plus d’efficacité, plus de transparence, plus de soutien : ainsi rénové, notre droit d’asile proposera aux personnes pouvant y prétendre un « contrat » d’accès à la France digne et protecteur. Nous pensons qu’ainsi réformé, le droit d’asile redeviendra lisible pour la majeure partie de nos concitoyens qui ont besoin de comprendre comment fonctionne ce droit et comment il s’applique en toute transparence.