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26 avril 2021

Audition de la présidente de la Cour nationale du droit d'asile par la commission des lois

Dans le cadre de la préparation du débat sur la politique migratoire annoncé par le président de la République et qui se tiendra le 30 septembre prochain, la commission des lois de l’Assemblée nationale a auditionné la présidente de la Cour le 25 septembre 2019.

AUDITION Assemblée Nationale

 

Mercredi 25 septembre 2019

 

Commission des lois

 

Débat national sur la politique migratoire

 

 

Présidente : Mme Yaël Braun-Privet

Vice-Présidents :

M. Philippe Gosselin

M. Stéphane Mazars

M. Didier Paris

Mme Laurence Vichnievsky

 

 

 

Madame la présidente,

Mesdames, messieurs les députés, membres de la commission,

 

 

Vous avez souhaité m’entendre en tant que présidente de la Cour nationale du droit d’asile dans le cadre de la préparation du prochain débat national sur la politique migratoire et je vous en remercie.

La Cour en tant que juridiction n’est pas un acteur en tant que tel de la politique migratoire, car son rôle est de dire le droit sous le contrôle de son juge de cassation, le Conseil d’État, en s’inscrivant dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et des cours européennes que sont la CJUE et la CEDH.

Sa mission est de juger et de protéger tous ceux qui en ont besoin et seulement ceux-là. Pour les demandeurs dont la Cour juge qu’ils ne remplissent pas les conditions pour obtenir une protection, il appartient aux pouvoirs publics de prendre les décisions qu’ils estiment nécessaires après ce refus.

La Cour est heureuse de pouvoir contribuer, à sa mesure, à l’information de la commission avant le débat national du 30 septembre voulu par le président de la République.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite vous présenter brièvement la mission de la Cour, son activité et les enjeux qui sont les siens dans le contexte actuel.

 

  1. 1.    Les missions de la Cour nationale du droit d’asile

C’est dans la loi du 25 juillet 1952 qui crée l’OFPRA qu’apparaît la commission des réfugiés, qui deviendra après plusieurs changements de dénomination, la CNDA en vertu de l’article 27 de la loi du 20 novembre 2007 qui lui fait quitter le périmètre de l’OPFRA et du ministère de l’intérieur pour la faire relever, depuis le 1er janvier 2009, de la gestion administrative et budgétaire du Conseil d’État au même titre que les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel.

Installée à Montreuil, la Cour est la juridiction administrative nationale spécialisée, chargée d’examiner les recours présentés par les demandeurs d’asile qui se sont vu refuser l’octroi d’une protection par l’Office français de protection de réfugiés et apatrides ou retirer une protection précédemment accordée.

Statuant en premier et dernier ressort, sous le contrôle de son juge de cassation, son rôle essentiel mais  circonscrit consiste à contrôler le bien fondé de décisions prises par l’OFPRA sur les demandes d’asile au regard du droit international constitué par la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 et deux directives de l’Union européenne (directive dite « qualifications » et « procédures ») transposées en dernier lieu par la
loi du 29 juillet 2015 créant notamment un second fondement de protection internationale : la protection subsidiaire.

Juge de plein contentieux, la Cour peut annuler la décision de l’OFPRA et accorder la protection demandée, sa décision se substituant alors à celle de l’OFPRA. Elle peut accorder l’asile constitutionnel à tout étranger en raison de son action en faveur de la liberté, reconnaître la qualité de réfugié en application de la CG à toute personne craignant d’être persécutée du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Elle peut également accorder une protection subsidiaire prévue par la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 (dite « qualification ») à toute personne qui ne peut être considérée comme réfugié mais qui court un risque réel d’atteintes graves (peine de mort, exécution, tortures, traitement inhumains ou dégradants) dans son pays ou y être exposé aux même risques en raison d’une situation de violence aveugle.

Juger et protéger, je l’ai dit tout à l’heure c’est :

-         Protéger les libertés tout d’abord, en reconnaissant par exemple la qualité de réfugié à un ancien esclave parvenu à fuir ses bourreaux et son pays d’origine.

-         Protéger les femmes soumises à des mutilations sexuelles ou exposées à des mariages précoces et forcés dans certaines régions d’Afrique ou d’Asie.

-         Protéger les personnes dont les craintes sont liées à leur orientation sexuelle.

-         C’est aussi sauvegarder l’ordre public en refusant ou en mettant fin au statut en raison d’agissements contraires aux buts et principes des nations-Unies (article L 711-4 1° et 3°). La Cour a ainsi confirmé la fin de protection d’une personne ayant participé à un système de traite des êtres humains dans une décision rendue en grande formation cette année. Elle peut aussi retirer ou mettre fin à ce statut si la personne représente une « menace grave » pour la sûreté de l’État ou pour la société (L 711-6 1° et 2° du Ceseda issus de la loi du 29 juillet 2015).

 

Je voudrais insister sur la particularité de la juridiction : en effet, la CNDA est unique à plus d’un titre :

-         Par la nature du contentieux qu’elle est la seule à traiter en France et qui porte sur l’application de textes internationaux retranscrits dans la loi française et qui résultent des engagements de la France et fondent un droit constitutionnellement protégé.

-         Par les requérants qu’elle accueille qui proviennent du monde entier (en 2018 : 126 pays et 146 langues parlées) ce qui implique qu’elle dispose d’une connaissance étendue et actualisée des situations géopolitiques dans les pays d’origine. Cette mission est assurée, au sein de la Cour, par le Centre de recherches et de documentation qui assure la veille et le recensement des sources documentaires sur les pays d’origine (COI), qui peut être consulté par les formations de jugement et les rapporteurs sur l’appréciation d’un risque-pays et qui publie ses propres analyses à travers notes, dossiers pays et conférences d’actualités.

-         Par la place qu’elle occupe dans le réseau des cours européennes et mondiales où elle est un acteur écouté dans le dialogue des juges et la coopération juridictionnelle à travers les contacts qu’elle entretient institutionnellement avec l’EASO (bureau européen d’appui en matière d’asile), la CJUE, la CEDH et le réseau des juges de l’asile européens et mondiaux à travers sa participation institutionnelle au conseil d’administration de l’IARMJ. Dans le cadre de cette activité internationale, elle contribue à la rédaction de guides didactiques sur les aspects juridiques du droit de la protection internationale à destination des juges de l’asile.

-         Par son organisation : elle emploie 22 juges permanents depuis le 1er janvier 2019 (les premiers ont été affectés à la Cour en 2009 !) et plus de 620 agents. Son organisation juridictionnelle repose sur 22 chambres réparties en 6 sections qui font appel à des juges vacataires (professionnels pour les présidents de séance et non professionnels pour les juges assesseurs) au nombre de 396 à ce jour. C’est donc une communauté de travail qui rassemble plus de 1000 personnes aujourd’hui où viennent plaider quotidiennement près de 1700 avocats. La Cour fonctionne toute l’année à l’exception d’une interruption d’une semaine à Noël et de deux semaines au mois d’août.

-         Par son activité, la Cour est la juridiction administrative qui rend le plus grand nombre de décisions (47 314 décisions en 2018) et qui juge le plus rapidement puisque le délai moyen constaté au 1er janvier 2019 est de 6 mois et 15 jours toutes procédures confondues.

 

  1. 2.    L’activité de la Cour

L’activité juridictionnelle dépend exclusivement de deux facteurs sur lesquels la Cour n’a aucune prise : en premier lieu, la dynamique de la demande d’asile qui résulte des flux d’entrée sur le territoire français. En deuxième lieu, le nombre de décisions rendues par l’OFPRA sur ces demandes.

Par ailleurs, la structure des entrées à la Cour dépend du classement de l’affaire en procédure normale ou accélérée qui dépend en partie de la provenance des demandeurs.

Je voudrais ici vous donner quelques chiffres pour mieux situer notre activité et vous faire percevoir les enjeux qui sont les nôtres :

-         Entre 1953 et 1976, le nombre de recours était inférieur à 400 par an et dépassait les 2 000 à la fin des années 70 puis les 10 000 au milieu des années 80 jusqu’à atteindre le nombre de 53 615 recours en 1991. Nous avons connu deux baisses historiques au milieu de années 90 jusqu’en 1998 et entre 2004 et 2008. Depuis lors, la tendance est à l’augmentation régulière des recours avec une accélération de + 34% en 2017, +9,5% en 2018 où nous avons enregistré 58 671 recours.

-         Le nombre d’affaires jugées entre 2008 et 2018 a presque doublé de 25 027 à 47 314 au 31 décembre 2018.

-         Au cours de la même période, et malgré l’augmentation continue des recours, le délai moyen constaté de jugement a été réduit de moitié pour passer de 12 mois et 27 jours à 6 mois et 15 jours au 31 décembre 2018. Cette évolution s’inscrit dans une tendance durable.  Elle a permis une diminution du stock des affaires en instance qui est passé de 36 868 affaires au 31 décembre 2018 à 34 318 au 31 août 2019. Je voudrais ici saluer la mobilisation des personnels de la Cour pour l’effort qu’ils fournissent dans ce cadre et souligner devant vous le défi que représente le recrutement, la formation et l’intégration des quelques 300 nouveaux agents accueillis depuis janvier 2017 dont la Cour a bénéficié grâce à l’action conjuguée du Conseil d’Etat et à aux autorisations que vous nous avez données dans le cadre des lois de finance.

 

L’année 2019 s’annonce contrastée : le nombre de recours s’élève à 40 067 sur les 8 premiers mois en baisse de 3,5% par rapport à la même période de l’année précédente sans que l’on sache si cette tendance va perdurer. Le nombre d’affaires jugées s’élève à 42 617 à la même date ce qui représente une hausse de 55,2% par rapport à la même période que l’année précédente. Le délai moyen constaté qui en résultera n’est pas encore connu. 

Les principaux pays de provenance des demandeurs d’asile devant la Cour sont l’Albanie, la Géorgie, la Guinée, le Bangladesh, l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, le Nigéria, la RDC, le Mail et Haïti qui représentent 55 % des affaires enregistrées depuis le début de l’année.

 

  1. 3.    Les enjeux de la Cour dans le contexte actuel

Le principal enjeu de la Cour réside dans la poursuite de la mise en œuvre de la loi du 29 juillet 2015 qui a instauré, cas unique en France, des délais de jugement selon la nature de la procédure qui s’appliquent à la totalité des affaires qu’elle enregistre. Ces délais sont connus : 5 mois pour les recours portant sur les demandes placées par les préfectures en procédure normale et qui sont jugées par une formation collégiale composée de trois juges, 5 semaines pour les recours portant sur de demandes placées en procédure accélérée qui sont jugées par un juge statuant seul.

La distinction entre ces deux procédures a conduit la Cour à se réorganiser en profondeur depuis 2015 pour travailler dans des délais contraints et être en capacité d’orienter les recours selon deux circuits d’audiencements distincts avec des formations de jugements différentes. Elle a nécessité la mobilisation de tous les juges et agents mais aussi des avocats qui n’étaient pas d’emblée favorables à cette réforme. Le dossier doit être orienté dès son enregistrement par le greffe selon la procédure dont il relève, un enrôlement des recours selon deux calendriers différents est mis en œuvre (convocation à 1 mois pour les collégiales, à 15 jours conformément à la loi). Par ailleurs, la Cour qui gère de manière totalement autonome l’examen des demandes d’AJ qui sont de droit devant la juridiction a dû accélérer l’examen de celles-ci. En 2018, cela représentait 45 000 décisions rendues dans un délai moyen de désignation de 11 jours.

 

Dans un contexte de progression continue et régulière du nombre de recours, et d’objectif de réduction des délais, la Cour a misé sur la dématérialisation et l’automatisation des procédures compte tenu des volumes à traiter:

-         Mise en état du dossier automatisée par l’envoi du dossier du demandeur d‘asile devant l’OFPRA.

-         Dématérialisation de ses envois aux avocats afin de réduire les délais de transmission et de faciliter la fluidité de échanges. Elle a ouvert hier la possibilité pour ces professionnels d’adresser, à leur tour, de manière dématérialisée l’ensemble de leurs écritures, mémoires, pièces à la juridiction.

-         Développement d’un outil d’aide à l’enrôlement capable de proposer des paniers de dossiers en état d’être enrôlés afin d’assurer le respect des délais de convocation (1 mois pour les collégiales, 2 semaines pour les juges uniques) pour les 6 400 audiences à programmer dans les 28 salles d’audiences dont dispose la Cour.

-         Dématérialisation de l’instruction des dossiers qui supprime les copies et les manipulations de dossiers : les rapporteurs et juges à l’audience travaillent sur des dossiers dématérialisés qui sont mis à disposition des formations de jugement 8 jours avant l’audience afin de leur permettre de prendre connaissance des dossiers.

 

Le deuxième enjeu réside dans la mise en œuvre de la réforme du droit d’asile qui résulte de la loi du 10 septembre 2018 avec l’organisation d’audiences en visio-conférence sur le territoire métropolitain pour les demandeurs qui sont domiciliés ailleurs qu’en Ile de France soit 60% environ de demandeurs.

La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 a prévu la possibilité pour la Cour d’organiser des vidéo-audiences sans le consentement du demandeur (article L 733-1 du Ceseda). Le Conseil constitutionnel a dans sa décision du 2018‑770 DC du 6 septembre 2018 déclaré ces dispositions conformes à la Constitution et en a donné le mode d’emploi. La Cour a donc mis en œuvre ces dispositions en respectant scrupuleusement les points retenus par le CC pour valider le texte : déroulement de l’audience dans les locaux de justice, confidentialité et fiabilité de la communication audiovisuelle, présence de l’avocat et de l’interprète aux côtés du demandeur.

L’objectif, vous le savez n’est pas tant de gagner en délai de jugement quoique l’on puisse en espérer de moindres difficultés pour les demandeurs de se rendre à l’audience qui se déroulera à côté de leur domicile et d’éviter des renvois pour ce motif. C’est surtout de faciliter l’accompagnement des demandeurs qui peuvent être pris en charge tant par leur avocat qui est à côté que par les travailleurs sociaux qui les accompagnent depuis leur installation sur le territoire, dès le début de la préparation de leurs recours. Il faut comprendre que se rendre à Montreuil pour des personnes qui ont parfois du mal à financer un voyage en train, se perdent à Paris, vivent le stress d’arriver en retard à l’audience, n’ont pas le temps de voir leur avocat parisien avant l’audience n’est pas satisfaisant. Ces audiences permettront d’améliorer la dignité de l’accueil comme l’a souligné le Conseil Constitutionnel dans sa décision.

La Cour dispose en la matière d’une véritable expérience puisqu’elle tient depuis 5 ans des vidéo-audiences avec les demandeurs résidant en OM sans que cela n’ait jamais suscité la moindre critique.

Après l’échec de négociations avec les représentants des avocats, la Cour a tout de suite souhaité avec eux l’engagement d’une médiation qui est en cours et qui, je l’espère, devrait nous permettre de trouver des points d’accords.

 

Le troisième enjeu réside dans la recherche de l’efficience afin que l’objectif de réduction des délais de jugement n’obèrent pas la qualité des décisions rendues et conforte la place de la Cour au sein du système de l’asile. Compte tenu de la taille de la juridiction et de la diversité des populations qui la composent, l’amélioration de l’efficacité passe notamment par l’harmonisation des pratiques procédurales, l’harmonisation des décisions jurisprudentielles rendues par les centaines de formation de jugement, l’effort de formation initiale et continue des juges et des agents à l’audience.

L’année judiciaire écoulée a vu aussi l’aboutissement de réformes structurelles destinées à rendre les décisions de la Cour plus compréhensibles par les justiciables. L’année en cours verra l’achèvement de deux chantiers majeurs que sont l’automatisation de l’enrôlement des quelques 6 400 audiences annuelles, gage de qualité et donc de prévention des renvois qui retardent les délais de jugement et l’accès facilité aux ressources documentaires de la Cour pour les juges et les rapporteurs. Elle sera aussi l’occasion de dresser le bilan de l’expérimentation de la spécialisation géographique des formations de jugement qui est porteuse d’une meilleure efficacité.

Je vous remercie de votre attention.

 

                                                                                   Dominique Kimmerlin

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