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26 avril 2021

Intervention de la présidente de la Cour nationale du droit d'asile à la 12ème conférence mondiale de l'Association internationale des juges pour les réfugiés et les migrations

Discours de Dominique Kimmerlin, présidente de la Cour nationale du droit d'asile, à l'occasion de la 12ème conférence mondiale de l'Association internationale des juges pour les réfugiés et les migrations (IARMJ) à San José, Costa Rica, du 17 au 22 février 2020

La place du juge dans les systèmes d’asile modernes

 

L’asile moderne est régi par des normes juridiques objectives. Il n’est plus décidé de façon discrétionnaire.il s’inscrit dans un ordonnancement juridique et l’état de droit suppose que le juge puisse contrôler la correcte application des normes qui s’appliquent à la matière : ce constat très simple est à l’origine du combat mené par l’IARLJ (aujourd’hui devenu l’IARMJ) qui vise à la défense et à la promotion du rôle spécifique des juges en matière d’asile.

Dans les temps troublés que nous connaissons, où les principes fondamentaux qui inspirent le droit d’asile paraissent perdre leur caractère absolu, le rappel du rôle des juges dans le respect et la mise en œuvre effective de ce droit n’est pas un exercice vain.

 I.                 Quel juge pour l’asile ?

Particularités et asymétrie de l’asile du point de vue contentieux

Pour le juge de plein contentieux, compétent pour se prononcer lui-même sur le droit du demandeur à la protection internationale, il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un récit personnel et la vraisemblance de craintes à l’égard d’un contexte, celui du pays d’origine, dont il n’est pas familier (tout au moins lorsqu’il débute dans ces fonctions). Le principe de confidentialité de la demande d’asile limite de façon très importante la possibilité d’enquêter dans le pays d’origine sur la véracité des allégations (en particulier par le biais des réseaux diplomatiques sur place : CE 1er Octobre 2014, M. ERDEN n° 349560 A, notre Cour suprême exige que la décision de la CNDA rende compte de façon très précise de l’ensemble des opérations effectuées et des informations recueillies dans le cadre de la mesure d’instruction, ce qui est très difficile dans la pratique).

Les demandeurs évoquent de plus très souvent les conditions mêmes de leur départ du pays, pour expliquer qu’ils ne disposent d’aucun élément de preuve ni même de documents d’identité : le juge de l’asile peut généralement se passer de preuves au sens juridique du terme, mais il est soumis à des règles strictes de motivation lorsqu’il entend écarter des documents présentés comme probants. Cette exigence, impulsée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, est à la fois une garantie pour les justiciables et une source de difficulté supplémentaire dans un contentieux où les documents controuvés ou falsifiés sont souvent produits à l’appui des récits.

Autre point de singularité, le fonctionnement normal de la procédure contradictoire se déroule dans un contexte inhabituel et asymétrique puisqu’en France, l’administration défenderesse n’est quasiment jamais représentée à l’instance.

 

 A. La place du juge de l’asile en France

En France, le choix s’est porté de longue date (CRR 1953 puis CNDA 2008) sur une juridiction nationale centralisée et spécialisée, exclusivement compétente pour connaître des contestations sur les refus ou les cessations de protection internationale opposés par l’autorité de détermination française, l’OFPRA. Elle n’est compétente pour aucun autre type de litige, notamment pas ceux relatifs au droit au séjour ou à l’éloignement du territoire qui relèvent de la compétence du juge administratif de droit commun. Elle présente également la particularité d’associer l’UNHCR au contrôle des décisions rendues par l’autorité administrative compétente puisque cette institution onusienne désigne des assesseurs qu’elle recrute elle-même poru siéger dans les formations collégiales, cas unique au monde (?)La CNDA est une juridiction de l’ordre administratif, soumise au seul contrôle de cassation du Conseil d’Etat, institution à qui elle peut adresser, par ailleurs, une demande d’avis lorsqu’un recours soulève une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges (article L.733-3 du CESEDA). Cette faculté introduite par la Loi du 16 juin 2011 vise à favoriser l’harmonisation des décisions de première instance et à éviter des contentieux redondants en cassation (La CEDH a créé un mécanisme comparable il y a quelques années…).

Le choix d’une juridiction spécialisée a surtout permis d’utiliser des outils et des règles de fonctionnement adaptés au traitement de cette matière spécifique : les formations de jugement, présidées par un magistrat professionnel, comportent deux juges assesseurs choisis pour leur expertise en la matière. L’un d’entre eux est désigné par le HCR et cela est une caractéristique unique parmi les juridictions de l’asile. La procédure devant la Cour a été entièrement repensée depuis 2013, pour tenir compte notamment de la place particulière de l’oralité dans une procédure de caractère écrit, de la nécessité de tenir compte de pièces rédigées en langue étrangère, et des situations de vulnérabilité dans lesquelles peuvent se trouver les demandeurs d’asile.

Le contentieux de l’asile en France étant un contentieux de pleine juridiction, le juge de l’asile ne se prononce pas sur la légalité de la décision prise par l’autorité administrative mais se prononce lui-même sur la reconnaissance du statut de réfugié ou sur l’octroi de la PS ou la cessation de la protection. En d’autres termes, il ne se contente pas d’annuler une décision administrative comme le JA classique ce qui impliquerait un réexamen par l’autorité administrative compétente mais substitue sa propre décision à celle de l’administration.  A l’exception du cas où il annule purement et simplement la décision en raison du non-respect par l’administration d’une garantie substantielle (existence d’un entretien avec le demandeur) et renvoie celui-ci devant l’administration pour examen de sa demande d’asile, le juge français doit rechercher lui-même les éléments d’informations lui permettant d’apprécier le bien-fondé des demandes.  la Cour dispose à cet effet d’un centre de recherche dédié unique en son genre au sein des juridictions administratives, le CEREDOC, chargé de collecter, d’analyser, de commenter et de diffuser l’information géopolitique (COI) et juridique. Il fonctionne également comme un centre d’aide à la décision au service des juges et des rapporteurs, et anime le processus de classement et de publication des décisions marquantes rendues par la juridiction.

 

 B. Office du juge et politique de l’asile

Le juge de l’asile français n’est pas un acteur de la politique publique de l’asile en tant qu’elle concerne l’instruction de la demande d’asile et la prise en charge des demandeurs d’asile dans le système d’accueil et la gestion des statuts accordés. Le juge est chargé de dire le droit c’est-à-dire d’interpréter et de faire respecter le droit de la protection internationale résultant des textes internationaux et nationaux en matière d’asile mais il le fait à l’occasion du contrôle des décisions de l’autorité administrative chargée de l’instruction des demandes, quand il est saisi d’un recours. : Sa mission consiste à veiller en France au respect d’un droit individuel fondamental garanti par la Constitution de la République française.  Contrairement à ce qui peut être parfois avancé s’il s’agit effectivement de protéger ceux qui en ont besoin et non les migrants économiques qui, “ ne relèvent pas de l’asile”, c’est en application des textes que cette mission s’exerce. On sait toute la difficulté à réaliser cette mission dans un contentieux particulièrement difficile à objectiver. Les juges de l’asile ici présents sont bien placés pour en témoigner. Enfin, si les décisions de justice sont exécutoires de plein droit, les mesures d’exécution de celles-ci ne relèvent pas du juge lui-même. Il relèvent de la compétence des gouvernements qui sont chargés d’éloigner, le cas échéant, les personnes définitivement déboutées de leur demande d’asile si celles-ci n’ont pas droit à un titre de séjour sur le fondement des lois nationales relatives au séjour des étrangers ce qui brouille encore un peu plus la compréhension du public quant aux différences entre migrants, réfugiés, demandeurs d’asile.

 

 C. L’effectivité du recours en matière d’asile

Il tient à deux éléments principaux :

Le pouvoir de réformation

Lorsque  la CNDA attribue le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, le bénéfice de la protection internationale s’inscrit directement dans l’ordre juridique français :  l’OFPRA et les différentes administrations concernées doivent mettre en œuvre les droits résultant de la décision de  protection en délivrant les titres de séjour prévus par la loi sauf pourvoi en cassation  L’autorité administrative pourra faire l’objet d’injonctions de la part du juge administratif en cas d’inexécution et voir sa responsabilité engagée devant les juridictions administratives de droit commun.  Ce système permet de garantir l’effectivité de la protection internationale reconnue par le juge et la rapidité de sa prise d’effet.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rappelé récemment la dimension essentielle de ce pouvoir de réformation dont doit être investi le juge de l’asile pour que le recours devant une juridiction de première instance puisse être regardé comme un recours effectif au sens de l’article 46 de la directive Procédures (Directive 2013/32 UE du 13 décembre 2013) et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dans  l’affaire Torubarov jugée en  grande chambre (CJUE, Grande chambre, 29 juillet 2019, Torubarov affaire C-556/17), la CJUE a clairement rappelé quelle était  la portée de l’office de juge de l’asile en jugeant que la juridiction de l’asile  doit annuler la décision prise par l’administration en méconnaissance du jugement et substituer à celle-ci sa propre décision sur  la demande de protection, en laissant au besoin inappliquée la réglementation nationale qui lui interdirait de procéder en ce sens. 

 

Le contrôle du respect des garanties essentielles

 L’existence d’un recours vraiment effectif doit permettre de réparer certaines anomalies graves qui ont affecté l’examen de la demande par l’autorité de détermination et qui ont constitué une perte de chance initiale pour le demandeur. Ce rôle de la CNDA s’est d’abord développé de façon prétorienne à partir de 2012[1] avant de se voir reconnaitre et encadrer par le législateur à l’occasion de la réforme du 29 juillet 2015.

Dans ces hypothèses, assez peu fréquentes, le juge de l’asile ne se prononce pas sur la protection internationale demandée, comme cela est habituellement le cas, mais annule la décision attaquée et renvoie l’examen de la demande à l’autorité de détermination dans les cas où le demandeur n’a pas été convoqué à un entretien ou n’a pu être effectivement entendu par l’OFPRA du fait de circonstances imputables à l’administration.

Ce contrôle, qui ne s’apparente pas à un contrôle de légalité classique  vise à rétablir la situation normale dans laquelle le demandeur aurait dû se trouver au moment d’exercer son droit au recours devant la juridiction. L’absence d’un entretien au stade initial de l’examen de la demande, outre ses conséquences évidentes quant à l’appréciation du bien-fondé de la demande par l’autorité de détermination, affecte en effet la Cour dans l’exercice même de sa mission et prive de ce fait le recours d’une part de son effectivité.

 

II. Les défis et difficultés d’une juridiction d’asile dans le contexte actuel.

 

L’exemple de la Cour nationale du droit d’asile souligne les difficultés et les défis auxquels le juge de l’asile est confronté dans le contexte actuel caractérisé par des mouvements migratoires massifs et des enjeux sécuritaires omniprésents. Le juge, à qui il appartient bien évidemment d’appliquer la règle de droit, n’exerce pas son office dans une tour d’ivoire. La matière, d’abord, l’y oblige, tant elle suppose une ouverture exceptionnelle aux réalités du monde : juger du bien-fondé de craintes de persécutions en cas de retour dans un pays éloigné, pays dont nous n’avons bien souvent qu’une connaissance livresque. Le contexte ensuite, car le juge n’est jamais seul, dans ce domaine moins qu’ailleurs, et il doit nourrir sa réflexion en regardant autour de lui : Il est peu d’autres sujets de justice à l’égard desquels le pouvoir politique exprime des attentes aussi précises…Cette pression s’applique en premier lieu sur les délais de jugement, il faut juger bien, mais aussi juger vite !

 

Trois défis se présentent à la Cour

 A.   Le défi tenant au respect des délais

La réforme de l’asile du 29 juillet 2015 a instauré, et c’est un cas unique en France, des délais de jugement selon la nature de la procédure qui s’appliquent à la totalité des affaires qu’elle traite. Le législateur a distingué deux modalités de traitement : les recours à juger dans un délai  de 5 mois qui concerne l’ensemble des recours  placées par les préfectures en procédure dite normale (60%)  qui sont jugées par une formation collégiale de trois juges. Les recours à juger dans un délai  de 5 semaines qui  concernent principalement les réexamens et les demandes présentées par des personnes provenant de pays dits d’origine sûrs  et qui doivent être t jugées par un juge statuant seul.

La distinction entre ces deux procédures a conduit la Cour à se réorganiser en profondeur depuis 2015 pour travailler dans des délais contraints et être en capacité d’orienter les recours selon deux circuits d’audiencements distincts avec des formations de jugements différentes. Pour illustrer l’ampleur de cette réorganisation, il suffit de dire que la juridiction a été saisie de 59 091 recours en 2019 et a jugé 66 464 affaires un chiffre en hausse de 40 % par rapport à 2018 et qui a triplé en 10 ans (il est notable que sur la même période le délai moyen de jugement ait été divisé par trois) dans le cadre de 5298 audiences.

 B. Le défi tenant à la nécessaire rationalisation du travail qui repose sur la dématérialisation et le développement des audiencements à distance.

Dans un contexte de progression continue et régulière du nombre de recours, et d’objectif de réduction des délais, la Cour a misé sur la dématérialisation et l’automatisation des procédures compte tenu des volumes à traiter : communications avec l’OFPRA et avec les avocats, travail d’instruction, l’ensemble des supports papiers tend à être remplacés par des formats dématérialisés, déploiement de la vidéo-audience en OM puis en métropole.

 C.   Le défi de la sécurisation juridique des solutions et de l’intelligibilité des décisions.

Dans une juridiction de cette dimension, où des centaines de formation de jugement composées par plus de 400 juges vacataires, il est essentiel d’assurer l’harmonisation des solutions pour garantir la sécurité juridique des demandeurs. L’effort de cohésion jurisprudentielle mobilise l’ensemble de la juridiction et fait l’objet d’échanges permanents au sein de la structure entre les présidents permanents qui sont chargés de veiller à la diffusion des jurisprudence et à leur correcte application par les centaines de formation de jugement. Elle se fait également grâce au travail d’information juridique assuré par le centre de recherches juridique  qui comporte 18 chargés de missions juridiques qui diffuse les commentaires de décision et édite des bulletins d’informations juridiques, Enfin, la  formation plénière réunissant 9 juges, dite Grande formation, permet à la Cour de définir des lignes jurisprudentielles et s’accompagne d’une évolution voulue vers une plus grande lisibilité des décisions.

 

A ces défis, s’ajoute la nécessaire prise en compte grandissante des considérations de protection de l’ordre public constitue également un enjeu majeur : ne soyons pas naïfs : des personnes aux buts ou agissements contraires à la sécurité ou à l’ordre publics peuvent se glisser dans les demandeurs d’asile.  Des dispositions inédites ont été adoptées en France en juillet 2015 qui autorisent à refuser le statut de réfugié  ou d’y mettre fin pour des raisons liées à la protection de l’ordre public qui en France, inclut, la sécurité et la tranquillité publiques. En 2019, la Cour a jugé en Grande formation que le bénéfice de la protection internationale pouvait être accordé aux victimes de la traite des êtres humains à des fins de prostitution. Mais elle a, dans la même décision de principe, jugé que l’atteinte à l’ordre public constituée par la condamnation du demandeur à un réseau de traite des êtres humains justifiait qu’il soit mis à la protection subsidiaire dont il bénéficiait.  

 

III. L’interaction grandissante avec l’échelon régional européen : Régime d’asile européen commun et surplomb juridique de la CEDH sur les procédures et le fonds du droit d’asile

 

A.   Le Régime d’asile européen commun et l’élargissement des catégories de l’asile

Depuis plusieurs années et dans diverses régions du monde, ont été créés des instruments de protection complémentaires à la convention de Genève, partant du constat que le texte de la convention n’était pas indéfiniment extensible et ne pouvait couvrir toutes les évolutions faisant apparaître des besoins nouveaux de protection. En Europe, le régime d’asile européen commun (RAEC) et la directive « Qualification » du 29 avril 2004 qui a introduit dans la législation des Etats membres la « protection subsidiaire » : cette forme de protection internationale, applicable à celles et ceux dont le besoin de protection ne relève pas de la convention de Genève, est examinée d’office par l’’OFPRA comme par la CNDA même si le demandeur ne s’en réclame pas. Ce régime spécifique permet pour des situations autrefois considérées comme ne relevant pas de la protection internationale d’être aujourd’hui prises en considération : violences domestiques ou du fait de groupes criminels dans les pays qui n’ont pas de système judiciaire aux standards de protection pour leurs citoyens, situations de violence aveugle résultant de conflits armés pouvant affecter les individus indépendamment de leurs caractéristiques personnelles. Instrument de protection à part entière, la PS a représenté en 2019, 33 % des protections reconnues par la juridiction (soit 4643 protections subsidiaires et 9337 statuts de réfugiés).

Le juge de l’asile peut aussi avoir recours, lorsqu’il estime être en présence d’un parcours emblématique, à  l’asile constitutionnel, consacré par le préambule de la constitution de 1946 et introduit dans le droit positif en 1998. L’asile constitutionnel, qui met l’accent sur les persécutions subies en raison « d’une action en faveur de la liberté » repose sur une logique assez éloignée de la convention de Genève mais aboutit également à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Cette forme de protection nationale est également connue en Allemagne et en Italie.

 Enfin , bien sûr,  la Convention européen des droits de l’homme et à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, font évoluer le fonds et les procédures du droit d’asile.

 B.    LA CEDH, un contrôle juridictionnel indirect sur les décisions du juge de l’asile.

L’influence de la jurisprudence de la CEDH sur les contentieux d’asile est considérable.

Tout d’abord sen ce qui concerne la question centrale de l’appréciation des risques en cas d’éloignement d’étrangers non européens vers leur pays d’origine : par sa méthodologie d’évaluation, sa technique d’utilisation et d’appréciation des différentes sources d’informations disponibles (COI) elle constitue bien sur une inspiration et un repère pour le juge national de l’asile qui doit lui aussi évaluer la réalité de risques en cas de retour dans le pays d’origine et objectiver son appréciation en se référant à des sources diverses, actualisées et pertinentes. La jurisprudence de la Cour est considérée comme non-contraignante en matière d’asile car l’objet du  contentieux devant la Cour est différant. Une décision de principe du Conseil d’Etat (CE 31/10/2018 M. MUINGI n° 406222 A) a néanmoins affirmé que la complète exécution d’un arrêt de la CEDH constatant qu’une mesure d’éloignement d’un demandeur d’asile vers son pays d’origine violerait l’article 3 de la Convention EDH qui prohibe la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants doit conduire le juge de l’asile à accorder « a tout le moins » la protection subsidiaire. Si la proximité entre les termes définissant la protection subsidiaires et l’article 3 justifie intellectuellement cette forme d’équivalence, celle-ci n’en demeure pas moins inédite dans notre jurisprudence et témoigne d’un rapprochement grandissant, que l’on peut observer par ailleurs dans la jurisprudence de la CJUE, entre le mécanisme de l’asile et celui de la protection des droits de l’homme.

Les arrêts de la CEDH influencent également la méthodologie de travail des juges de l’asile : la Cour de Strasbourg examine, au travers des cas qui lui sont soumis, la conformité de nos procédures et de nos motivations au regard des exigences posées par la Convention EDH. La question de l’appréciation portée sur les documents, évoquée plus haut, celle, très délicate, de la prise en compte du risque objectif au-delà des déclarations des demandeurs, la façon dont les procédures de réexamen ou les procédures dites accélérées doivent être conduites pour ne pas aboutir à une absence de contrôle sur de possibles violations de la convention, sont autant de points saillants sur lesquels, la CNDA a été amenée à évoluer, sous le contrôle de son juge de cassation qui partage souvent les positions de la Cour de Strasbourg.

 C.   L’ancrage du droit d’asile et des procédures d’asile dans le Charte européenne des droits fondamentaux.

La Charte européenne des droits fondamentaux intègre dans l’ordre communautaire - à un niveau très élevé, celui du droit primaire de l’union- les droits garantis par la convention européenne des droits de l’homme Les arrêts de la CJUE, qui ne tranchent pas des litiges d’asile mais fixent, à titre préjudiciel, l’interprétation de dispositions du droit européen d’asile se réfèrent, de façon itérative, au fait que les dispositions en question doivent être examinées «  à la lumière des dispositions de la Charte », c’est-à-dire notamment au regard des droits consacrés par la convention EDH. On trouve un exemple très direct de cette influence son arrêt du 14 mai 2019 (CJUE (GC) 14 mai 2019 M. c. Ministerstvo vnitra et X. et X. c. Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C-391/16, C-77/17 et C-78/17 ) qui souligne que le droit de l’Union, en s’opposant au refoulement vers son pays d’origine d’un réfugié même privé d’une protection internationale en application de l’article 14 de la directive qualification, est plus généreux que la convention de Genève. L’interdiction absolue par la Charte (article 4 et 19§2) de la torture ainsi que des peines et des traitements inhumains ou dégradants, quel que soit le comportement de la personne concernée, de même que l’éloignement vers un État où il existe un risque sérieux qu’une personne soit soumise à de tels traitements, conduit à neutraliser en pratique la possibilité d’expulser un réfugié vers son pays d’origine au titre de l’article 33 § 2 de la convention de Genève.

[1] CNDA SR 21 février 2012 Mlle Y. n° 11032252 R

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