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26 avril 2021

Vœux de la présidente de la Cour nationale du droit d’asile aux membres et agents de la CNDA 2020

Intervention de Dominique Kimmerlin à l'occasion des vœux à la Cour nationale du droit d’asile le 28 janvier 2020

Vœux à la Cour nationale du droit d’asile

Mardi 28 janvier 2020

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Intervention de Madame Dominique Kimmerlin

Présidente de la Cour nationale du droit d’asile

 

Monsieur le Président,

Messieurs les Sénateurs,

Monsieur le représentant du Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés

Mesdames et Messieurs les présidents de juridictions administratives et judiciaires,

 Monsieur le Directeur général de l’OFPRA,

Mesdames et Messieurs les bâtonniers et représentants de la conférence des bâtonniers et des barreaux,

Mesdames et Messieurs les avocats et les représentants des associations,

Mesdames et Messieurs, Chers collègues

 

Monsieur le Vice-président, votre fidèle présence à nos côtés, cette année comme les années précédentes témoigne de l’intérêt et de l’attention que vous portez à notre juridiction. Je vous en remercie au nom de tous les membres de la Cour qui vous sont reconnaissants de cette marque de soutien.  

Je remercie également les personnalités qui nous font l’honneur d’être parmi nous, ce matin, témoignant ainsi de l’intérêt qu’elles portent à notre juridiction.

L’an passé, je caractérisai ainsi la Cour : « plus, et mieux » Forte de l’expérience de l’année écoulée, j’ajouterai que l’ADN de la CNDA est celui d’une toute jeune institution née il y a une décennie à peine qui a su tenir le cap dans un contexte de croissance accélérée et devra consolider ces acquis.

 

L’activité de la Cour nationale du droit d’asile qui juge exclusivement les décisions contestées devant elle de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en matière d’asile est certes intimement corrélée à celle de l’OFPRA. Mais, pour bien saisir les défis auxquels la Cour est confrontée, il faut rappeler que c’est évidemment le contexte géopolitique mondial qui influence la demande d’asile en Europe et, particulièrement, en France.

A la mi-année 2019, les Nations Unies évaluaient à près de 29 millions le nombre de personnes réfugiées dans le monde, dont 83 % se trouvaient dans les régions moins développées et seulement 12 % sur le continent européen.

En moins d’une décennie (depuis 2010), le nombre total de « personnes déracinées », au sens de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), c’est-à-dire des personnes forcées de fuir leur foyer en raison de la persécution, de conflits, de violences ou de la violation de droits de l’homme, a dépassé, fin 2018, les 70 millions, chiffre sans précédent.

Même si les pays qui accueillent le plus ces réfugiés, en nombre, sont ceux qui sont les plus proches des zones de conflits, comme la Turquie, le Pakistan et l’Ouganda, la France fait partie, au niveau mondial, des quatre pays ayant accueilli le plus de nouvelles demandes d’asile, après les Etats-Unis, le Pérou et l’Allemagne.

Au troisième trimestre 2019 (selon les dernières statistiques connues), la France se situait au second rang européen en nombre de premières demandes d’asile enregistrées, derrière l’Allemagne et devant l’Espagne et la Grèce, dans un contexte européen de nouvelle augmentation de la demande d’asile depuis le 2e trimestre 2018.

L’activité de la Cour reflète cette tendance : même si l’augmentation du nombre de recours enregistrés en 2019 a été plus modérée (+0,7%) qu’en 2018 (+9,5%), c’est un nombre historiquement inégalé de 59 091 nouveaux recours qui a été enregistré.

Ces recours sont principalement ceux de demandeurs provenant de l’Europe de l’ancien bloc communiste (Albanie, Géorgie), d’Afrique subsaharienne (Guinée, Côte d’Ivoire, Mail, Nigéria, RDC) et du sous-continent indien (Bangladesh, Afghanistan) sans oublier Haïti qui connaît une situation d’insécurité et de pauvreté endémiques.

Pour faire face à cette demande sans précédent, la Cour a bénéficié en 2019 d’importants renforts avec 122 nouveaux emplois.

Cas unique parmi les juridictions à bénéficier d’un tel soutien de la part des pouvoirs publics, cette attention crée de redoutables devoirs :  une capacité d’adaptation et une mobilisation constante pour ne pas risquer la rupture de charge.

Malgré l’augmentation de l’activité en 2019 qui s’est traduite par une hausse de 40% du nombre de décisions rendues, la juridiction a réussi à maintenir le cap en garantissant aux demandeurs un examen individuel, approfondi et impartial de leur recours, sans autre considération que d’appliquer tous les engagements internationaux de la France en matière d’asile que constituent la Convention de Genève et les directives européennes mais rien que ces engagements, afin que le droit d’asile reste ce pour quoi il est fait : protéger ceux qui craignent pour leur sécurité, ou pour leur vie, en raison de leurs engagements, d’une situation de violence ou simplement du fait de leur appartenance à un groupe social identifié comme tel.

Prendre en compte les vrais besoins de protection et seulement ceux-là, c’est le délicat exercice auquel doit procéder le juge de l’asile dans le cadre d’une audience où la crédibilité du récit, parfois intime, du demandeur détermine l’issue du litige. La prise en compte de ces vrais besoins est aussi un devoir vis-à-vis de nos concitoyens qui attendent de nous d’y veiller sans ingénuité ni dévoiement.

En 2019, la Cour a protégé 13 980 personnes dont 67 % sur le fondement de la convention de Genève et 33 % au titre de la protection dite subsidiaire. Le taux de protection s’établit ainsi à 21%, en légère augmentation qui reflète l’évolution des principaux pays d’origine dont les ressortissants bénéficient d’un taux de protection élevé : la Syrie, la Cisjordanie, le Koweït, le Yémen, l’Afghanistan, le Soudan du Sud, la Somalie et la Libye.

Si la Cour a protégé un peu plus dans un contexte où le taux de recours contre les décisions de l’OFPRA a légèrement baissé (84,7%), ceci s’explique principalement par l’évolution des motifs invoqués à l’appui de la demande de protection qui changent en fonction des situations géopolitiques dans les régions et pays d’origine, et par l’interprétation renouvelée des textes faite par la juridiction, sous le contrôle de son juge de cassation, le Conseil d’Etat.

La Cour est à l’écoute des évolutions du monde : je ne citerai que 2 exemples : les décisions cette année qui ont pris en compte le cas des ressortissants maliens victimes de la pratique de l’esclavage dans la région de Kayes. De même, celles où la Cour a eu à se prononcer sur les conséquences de la crise sociopolitique dans les régions anglophones du Cameroun où la situation s’est fortement dégradée en 2019, malgré le « Grand dialogue national » et qui peut être qualifiée de violence aveugle susceptible de donner lieu à l’octroi d’une protection subsidiaire.

La Cour sait innover et faire évoluer son interprétation des textes. Dans sa décision de GF de juin dernier, elle a, pour la première fois, qualifié la participation à un réseau de traite d’êtres humains d’agissements contraire aux buts et principes des nations Unies au sens de la Convention de Genève lorsqu’elle est le fait de réseaux criminels organisés de manière transfrontière.  

Au regard du très faible taux de réformation des décisions qui font l’objet d’un pourvoi en cassation (3%) lequel est en baisse continue depuis 2015, la Cour peut se targuer de dire définitivement le droit dans plus de 99 % des recours dont elle est saisie, ce qui témoigne de la qualité du travail des formations de jugement et des rapporteurs qui préparent et documentent leurs analyses et rédigent les projets de décision.

 J’ai parlé d’innovation, je veux aussi évoquer l’incroyable capacité d’adaptation, je dirais même de résilience, dont la Cour a su faire preuve.

-Adapter son organisation : nous avons créé 5 chambres et une sixième section, recruté, formé et intégré plus de 200 nouveaux magistrats, juges vacataires et agents. Six nouvelles salles d’audiences ont été ouvertes au Palais de justice de la Cité, grâce au soutien du premier président et du procureur général de la Cour d’appel de Paris et du ministère de la justice que je tiens à remercier.

Adapter les outils, en ouvrant, en septembre dernier, aux 1 100 avocats inscrits dans l’application d’échanges sécurisés « Cndém@t » la possibilité de déposer l’ensemble de leurs écritures via cette application. Adapter, c’est optimiser l’enrôlement quotidien des affaires entre les formations collégiales et celles à juge unique dans 28 salles d’audiences situées dans deux sites distincts. Cela a été rendu possible grâce au déploiement de l’Outil d’Aide à l’Enrôlement qui a permis au SCE de franchir le cap des 5300 audiences enrôlées sans rupture de charge. Adapter, c’est mettre en place l’affichage numérique des rôles de lecture pour faciliter la lecture du sens de la décision par les requérants et alléger le travail des services support.  

Adapter les méthodes, avec l’expérimentation de la spécialisation géographique des chambres en fonction de l’origine des demandeurs. Cette expérimentation, basée sur le volontariat, a pour objectif de renforcer la connaissance du risque-pays des formations de jugement et des rapporteurs pour améliorer encore la qualité de décisions et l’harmonisation des décisions

Cette capacité à nous adapter et à nous réformer collectivement, nous a permis de tenir le cap et de réduire de près de 10 000, le nombre d’affaires en instance pour aborder 2020 dans une situation plus favorable.

Ce résultat, nous le devons à la mobilisation de chacun, qu’ils soient membres des formations de jugement, chefs de chambre, rapporteurs ou secrétaires ou qu’ils travaillent dans les services généraux qui constituent des rouages indispensables à l’activité juridictionnelle : le greffe a assumé sa part dans la réduction des délais d’instruction, le  SCE qui a accompagné l’augmentation de 26 %  du nombre d’audiences sans rupture de charge, le service de l’interprétariat qui dans le cadre du nouveau marché  qu’il a passé cette année, veille à la qualité du concours apporté à la juridiction par les interprètes dans un échange confiant avec les entreprises, le service des ordonnances qui a su gagner en délai d’instruction sans rien  sacrifier à la qualité des décisions préparés par ses 19 rapporteurs permanents et ceux en chambre qui contribuent à la tenue des séances. Le SAPA qui accueille, oriente et rassure les 800 visiteurs quotidiens, le BAJ qui a pris plus de 50 000 décisions de désignation, le service du système d’information qui assure la maintenance de plus de 1000 postes informatiques et participe activement à la conception et au développement de nouvelles applications en lien avec les services utilisateurs. Enfin, je veux évoquer le service des ressources humaines, de la logistique et de l’immobilier qui a la lourde tâche de gérer et installer les 624 magistrats et agents permanents et les quelques 400 juges vacataires répartis sur 6 sites e. Je saisis cette occasion pour saluer le travail accompli par son chef, Mme Véronique Rodéro, qui n’a pu être parmi nous aujourd’hui, mais qui a dirigé ce service depuis plus de 10 ans avec compétence et détermination. Qu’elle en soit ici publiquement remerciée au moment où elle quitte la juridiction.

Ces résultats n’auraient pas été rendus possibles sans les renforts obtenus du Conseil d’Etat et le soutien, de son Secrétariat général et des services qui y sont rattachés et dont nombre de représentants nous font l’amitié de leur présence ce qui me donne l’occasion de les saluer et de les remercier!

Mais c’est bien sûr surtout à toute la communauté de la Cour, présidents permanents, juges vacataires et aux agents que j’exprime ma profonde reconnaissance pour la qualité du travail qu’ils ont accompli et l’engagement indéfectible dont ils ont fait preuve envers et contre tout même lorsque la Cour est injustement mise en cause dans les médias ou lorsque les transports s’arrêtent !

Est-il besoin de souligner que cette résilience, cette capacité à innover démontrent la vitalité des valeurs que nous partageons et auxquelles je suis particulièrement attachée : Monsieur le président, vous avez évoqué dans vos vœux aux membres du Conseil d’Etat la nécessité de conserver le sens de l’étonnement dans son acception platonicienne, qui agit comme un ressort pour l’action. Permettez-moi d’ajouter le sens de l’engagement dans l’action, l’entraide et la solidarité qui n’est pas un vain mot, pour faire vivre notre jeune communauté juridictionnelle, et naturellement l’impartialité qui n’est autre, dans la justice, que la bonne foi que nous devons dans l’examen des dires des parties au procès. 

 

« Un voyage de mille lieues commence par le premier pas » nous dit Lao Tseu. La juridiction de l’asile qui chemine depuis 1952 inscrira ses pas dans cette continuité en 2020.

Cette année qui commence devra être l’occasion de consolider nos acquis.  Si les renforts octroyés sont moindres, quoiqu’encore substantiels avec la création de 59 postes et d’une 23ème chambre, nous sommes conscients qu’un tel rythme de croissance nécessite non seulement de mettre en œuvre ces nouveaux moyens mais questionne profondément nos procédures, notre manière de travailler et la cohésion d’une communauté qui est embarquée sur un super tanker où il s‘écoule de longs mois avant que les décisions ne modifient l’erre du navire et influe sur le cap.  

Celui-ci s’articulera autour de 3 axes :

1)La CNDA approfondira sa professionnalisation en continuant d’investir dans la qualité du recrutement, de la formation initiale et continue et en mobilisant sa gouvernance autour d’objectifs communs partagés pour lui permettre d’atteindre les objectifs que le législateur de 2015 lui a fixés en terme de délais de jugement.

2)La CNDA poursuivra la modernisation de son organisation et de ses méthodes : la création de 3 services supports, le Service des Ressources et Relations Humaines, le Service de l’Equipement et le Service des Affaires Financières, de l’Audit et de la Prospective qui s’achèvera au 1er trimestre nous permettra de renforcer nos capacités de gestion de proximité, d’adapter les locaux tout en préparant le déménagement de la juridiction, de réformer nos process pour mieux maîtriser et réduire les délais d’instruction et de jugement. Le renforcement et la création de postes d’adjoint au greffe, au SCE, au service de l’interprétariat procèdent de la même logique.    

Ces réformes se feront en mettant au cœur de notre action, les attentes légitimes en matière de qualité de vie au travail et d’appartenance à une communauté juridictionnelle soudée et engagée sur des objectifs communs. Le travail déjà accompli cette année grâce à l’échange ouvert et constructif que nous avons pu avoir au sein des institutions représentatives du personnel et avec les représentants des organisations syndicales et je les en remercie, se poursuivra. Le rapport réalisé par la mission permanente d’inspection de la juridiction administrative à votre demande, M. Le Vice-président, nous aidera à identifier les pistes majeures d’évolution. Nous en discuterons avant de mettre en œuvre celles qui s’imposent.  Les suggestions faites par le « Laboratoire d’idées » pour améliorer le vivre ensemble seront mises en œuvre.

 Le développement ou l’aboutissement de projets de dématérialisation des échanges avec nos partenaires avocats comme en interne , l’achèvement de l’OAE, l’ouverture,  de la base CEREDOC qui facilitera la consultation par les formations de jugement et les rapporteurs de l’ensemble des ressources documentaires après plus de deux années d’élaboration, la mise à jour du guide des procédures et l’engagement, je l’appelle de mes vœux,  d’une réflexion, dans le cadre du schéma directeur de la DSI du CE, sur les possibilités d’utilisation de l’IA dans nos activité sont autant de projets qui nous mobiliserons.  

3)Enfin, la CNDA poursuivra son dialogue avec ses partenaires privilégiés que sont les avocats en vue du déploiement du futur portail avocat et de la vidéo-audience en métropole, qui est l’occasion d’enrichir nos relations dans le cadre notamment de la médiation qui devrait se terminer prochainement. Avec les juges de l’asile. La Cour occupe une place particulière dans le réseau des cours européennes et mondiales où elle est un acteur écouté dans la coopération juridictionnelle à  travers  les  contacts  qu’elle  entretient  institutionnellement  avec  le bureau  européen  d’appui  en  matière  d’asile (EASO),  la  CJUE,  la  CEDH et  le  réseau mondial  des juges  de  l’asile   grâce à sa participation  institutionnelle  au  conseil d’administration  de  l’IARMJ.  Elle continuera de participer à la rédaction de guides didactiques sur les aspects juridiques du droit de la protection internationale et de favoriser l’échange entre juges : en 2020 elle le fera à travers l’organisation, pour la première fois, d’un séminaire de formation en coopération avec le bureau européen d’appui en matière d’asile. Ce séminaire sera précédé d’une journée de formation à l’utilisation des guides de l’EASO destinée aux rapporteurs. La juridiction interviendra lors de la réunion du chapitre mondial de l’IARMJ, en février au Costa Rica, où les défis du droit d’asile face à la crise migratoire mondiale seront étudiés. Elle se rendra également à la réunion du chapitre européen en Ukraine et continuera de fournir son assistance et son expertise technique dans le cadre du Forum mondial des réfugiés en collaboration avec le MAE, comme de répondre aux demandes de l’UNHCR de présentation de notre système de l’asile, ce qu’elle a fait en 2019 au Japon.

 

Les défis, vous l’avez compris sont immenses mais passionnants, au cœur de l’actualité qui nous oblige à servir notre mission avec impartialité et détermination. Je sais pouvoir compter sur le dévouement et l’enthousiasme de tous ici.

Permettez-moi de vous adresser mes vœux les plus chaleureux de santé, de joie et d’épanouissement ainsi qu’à ceux qui vous sont chers.

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