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15 décembre 2014

CNDA 12 juin 2014 M. O. n° 09009538 R

Personne reconnue réfugiée dans un autre Etat partie à la Convention de Genève - Absence de transfert de protection à défaut d’admission préalable au séjour - Appréciation de l’effectivité de la protection accordée - Présomption d’effectivité de la protection accordée par un Etat membre de l’Union européenne - Requérant de nationalité russe reconnu réfugié en Pologne - Absence de renversement de la présomption - Rejet

Considérant que M. O., ressortissant russe d’origine tchétchène, s’est vu reconnaître par les autorités polonaises, le 10 juillet 2008, en application des stipulations de la Convention de Genève, la qualité de réfugié, sur le fondement des risques de persécution auxquels il était exposé en Fédération de Russie en raison de sa participation à la première guerre d’indépendance de la Tchétchénie ; qu’il soutient avoir été l’objet, sur le territoire polonais, de menaces émanant de personnes originaires de Tchétchénie, parmi lesquelles il a reconnu l’auteur de tortures dont il avait été victime en 2002 dans son pays d’origine ; qu’entré, en invoquant ces menaces et sans avoir été préalablement admis au séjour, sur le territoire français le 19 février 2009, pour y demander l’asile, il a vu sa demande rejetée par une décision du 24 avril 2009 du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu’il demande à la cour la reconnaissance de la qualité de réfugié ;

Sur l’intervention :

Considérant que l’association la CIMADE justifie, par son objet statutaire et son action, d’un intérêt suffisant, à intervenir à l’appui du recours de M. O. contre la décision du directeur général de l’OFPRA ; que son intervention doit, par suite, être admise ;

Au fond :

Considérant qu'aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne  « qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses  opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la  protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 31 de cette même convention : « Les Etats contractants n'appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l'article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu'ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 33 de cette même convention : « Aucun des Etats contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » ;

Considérant qu’il résulte de ces stipulations que lorsqu’une personne s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un État partie à la Convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’État dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l’État qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d’un autre État, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu’elle tient de la Convention de Genève à raison de ces persécutions ; que, par suite, si une personne reconnue comme réfugiée, au titre de la convention, par un autre État partie que la France ne peut, aussi longtemps que la qualité de réfugié lui demeure reconnue par cet État, être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, et s’il est loisible à cette personne de demander à entrer, séjourner ou s’établir en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers et, le cas échéant, dans le cadre des procédures spécifiques prévues par le droit de l’Union européenne, cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France ;

Considérant, toutefois, qu’une personne qui, s’étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un État partie à la Convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’État dont elle a la nationalité, demande néanmoins l’asile en France, doit, s’il est établi qu’elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l’État qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n’y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié ; qu’il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d’examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité ; qu’en cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l’application des dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne, se prévaloir d’aucun droit au séjour au titre de l’asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier État fait obstacle, aussi longtemps qu’elle est maintenue, à ce qu’elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d’asile peuvent faire obstacle à ce qu’elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié ;

Considérant, enfin, qu’eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l’Union européenne, lorsque le demandeur s’est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un État membre de l’Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire ; que cette présomption ne saurait toutefois valoir, notamment, lorsque cet État membre a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur le fondement de l’article 15 de cette convention, ou dans le cas où seraient mises en œuvre à l’encontre de cet État membre les procédures, prévues à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, soit de prévention, soit de sanction d’une violation des valeurs qui fondent l’Union européenne ;

Considérant, en premier lieu, que M. O. n’a pas été admis au séjour en France ; que, par suite, il n’est pas fondé à demander aux autorités françaises le bénéfice des droits qu’il tient de la Convention de Genève à la suite de la reconnaissance par les autorités polonaises de sa qualité de réfugié en raison des craintes de persécutions auxquelles il est exposé dans le pays dont il a la nationalité ;

Considérant, en second lieu, que, si M. O. expose avoir été menacé, en Pologne, le 11 février 2009, par un groupe d’individus d’origine tchétchène parmi lesquels il aurait reconnu l’un des auteurs des tortures qu’il dit avoir subies en 2002, son seul témoignage sur les circonstances de cet incident n’est pas suffisant pour en établir la crédibilité, alors qu’il ne fait état que de cet incident isolé depuis son arrivée en Pologne en 2006 et qu’il n’établit nullement que de telles menaces seraient encore actuelles en Pologne à la date de la présente décision ; qu’il n’a pas été en mesure d’établir les démarches éventuelles qu’il aurait entreprises pour obtenir la protection des autorités polonaises contre ce qui relève de faits de droit commun sur son sol, l’intéressé ne pouvant se borner à alléguer que les autorités polonaises ne seraient pas en mesure de lui assurer une protection effective pour assurer sa sécurité physique devant ce qui ne constituait en tout état de cause que des menaces ; que la production de l’attestation de l’employeur de M. O., datée du 14 février 2009, qui mentionne succinctement les visites régulières de ces mêmes individus durant l’année 2008 au sein de l’entreprise où travaillait l’intéressé, alors que ce dernier n’avait pas lui-même évoqué ces faits, de même que celle rédigée le 16 février 2009, soit cinq jours après l’altercation alléguée et trois jours avant le départ définitif de M. O. de Pologne, sont dépourvues de valeur probante et les conditions de leur établissement ne sont pas cohérentes avec la situation de départ précipité qu’il allègue ; que les références à la situation d’autres personnes d’origine tchétchène, tels M. I., assassiné à Vienne en janvier 2009, ou encore M. Z., arrêté à Varsovie en septembre 2010, ne permettent pas de caractériser l’existence de craintes propres à M. O. sur le territoire polonais ni la défaillance des autorités de ce pays dans sa protection conventionnelle ; qu’ainsi, les éléments invoqués par M. O. ne sont pas suffisants pour renverser la présomption du caractère non fondé de sa demande quant à l’incapacité des autorités polonaises à lui assurer la protection conventionnelle à laquelle il a droit sur le territoire de cet état membre de l’Union européenne en sa qualité de réfugié ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié présentée en France par M. O. à raison des craintes qu’il déclare éprouver dans le pays dont il a la nationalité ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la demande d’asile de M. O. doit être rejetée ;

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