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18 octobre 2012

CNDA 18 octobre 2012 M. B. N. n° 1201364 C

Orientation sexuelle - Groupe social - Article 10.1 d) de la directive 2004/83/CE - Cameroun - Craintes fondées - Reconnaissance de la qualité de réfugié

CNDA 18 octobre 2012 M. B. N. n° 12013647 C

Considérant qu'aux termes du 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, (…) ; qu’aux termes de l’article 10, paragraphe 1 d) de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004, « Un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier : / - ses membres partagent (…) une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et / - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. / En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. » ; qu’aux termes de l’article 10, paragraphe 2 de la même directive, « Lorsqu’on évalue si un demandeur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent qu’il possède effectivement la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques à l’origine de la persécution, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’agent de persécution. » ;

Considérant qu’un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; qu’en fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions ; qu’il convient dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des sources fiables et publiquement disponibles, tel le rapport de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch intitulé « Criminalisation des identités : atteintes aux droits humains au Cameroun fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre », publié le 2 novembre 2010, que les personnes homosexuelles sont, au Cameroun, exposées à des agressions violentes de la part d’individus ou de groupes qui s’organisent à cette fin, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de leur domicile, sans pouvoir obtenir la protection des autorités ; qu’elles sont par ailleurs systématiquement harcelées par les autorités camerounaises et, lorsque leur orientation est connue de tout ou partie de la société camerounaise, sont exposées tant à l’exercice effectif de poursuites judiciaires sur le fondement de l’article 347 bis du code pénal camerounais, qui criminalise l’homosexualité, qu’à des dénonciations de la part de la population, encouragées par la police et parfois d’ailleurs portées à tort ; que, dans ce contexte, les conditions prévalant au Cameroun permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes tant la société environnante que les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ; que les personnes soupçonnées de faire partie de ce groupe, alors même qu’elles n’auraient pas la même orientation sexuelle, doivent être regardées comme appartenant à ce même groupe social, par une appartenance imputée ;

Considérant, en deuxième lieu, que les déclarations précises et personnalisées faites en audience publique devant la Cour ont permis d’établir que M. B. N. n’avait plus d’autre famille que son frère, et vivait avec ce dernier en dehors des périodes de scolarisation ; que son frère a été lynché à Yaoundé en raison de son homosexualité, par un groupe spontanément organisé et constitué d’habitants du quartier où ils vivaient ; que l’intéressé est accouru défendre son frère, et que les agresseurs ont alors commencé à s’interroger sur sa propre orientation sexuelle ; qu’il a été battu mais qu’il a pu s’enfuir, profitant de leur relative indécision à son égard et de leur acharnement sur son frère, qui décèdera d’ailleurs des suites de ses blessures ; qu’il a toutefois appris que ces mêmes habitants le cherchaient désormais, étant convaincus qu’il était lui-même homosexuel, eu égard à leurs conditions de vie commune et à son intervention pour tenter de le sauver ; que, craignant à juste titre des représailles fondées sur le motif de l’homosexualité qui lui était désormais imputée, tant de la part de la population que des autorités, auprès desquelles il ne peut demander une protection, il s’est réfugié chez un proche avant de fuir son pays ; que dans ces conditions, les craintes que peut raisonnablement éprouver le requérant du fait de l’homosexualité qui lui est désormais imputée par une partie de la population camerounaise, voire par les autorités, en cas de retour dans son pays d’origine, doivent être regardées comme fondées et comme résultant de son appartenance à un groupe social au sens des stipulations de l’article 1er, A, 2, de la convention de Genève ; (reconnaissance qualité de réfugié)

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