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15 décembre 2014

CNDA 3 juillet 2014 M. S. n° 13024480 C

Soudan - Darfour - Menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’un conflit armé interne ou international - Prise en considération du degré de violence dans les zones devant être traversées par le requérant pour rejoindre sa région d’origine - Octroi de la protection subsidiaire

Considérant, d’une part, qu’en vertu du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, la qualité de réfugié est notamment reconnue « à toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) » ;

 

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « (…) le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l’article L. 711-1 et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : / a) La peine de mort ; / b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / c) S'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » ;

 

Considérant que, pour solliciter son admission au bénéfice de l’asile, M. S., né le 17 février 1986, qui se déclare de nationalité soudanaise et originaire du Darfour Ouest, soutient qu’il craint d’être persécuté ou d’être exposé à des menaces graves en cas de retour dans son pays d’origine de la part des autorités et des miliciens janjawids en raison de son appartenance à l’ethnie bargo ; qu’à la suite des attaques de Kaltin le 12 novembre 2006 puis d’Abu Suruj le 8 février 2008 par l’armée et les miliciens janjawids, il a quitté le Soudan pour se rendre en Libye le 24 avril 2008 avant de venir en France le 12 janvier 2013 ;

 

Considérant que s’il résulte de l’instruction que la nationalité soudanaise, la provenance du Darfour Ouest et l’appartenance ethnique bargo de l’intéressé peuvent être tenues pour établies, M. S. n’a fourni, notamment au cours de l’audience publique, que des explications succinctes et particulièrement évasives sur les autres faits allégués ; que, notamment, l’intéressé n’a livré aucune précision permettant de considérer que des pressions aient pu être dirigées contre lui sur la base de considérations ethniques ; qu’en effet, les membres de la communauté bargo, communauté qui s’est désolidarisée des ethnies plus anciennes telles que les Zaghawas ou les Furs, n’ont pas rallié les mouvements rebelles et ne sont pas de ce fait les cibles privilégiées des exactions des forces gouvernementales  et des milices Janjawids associées ; que, par ailleurs, ses propos relatifs aux deux attaques dont il aurait été témoin en 2006 et 2008 se sont limités à des considérations générales et non personnalisées à cet égard ; que les conditions de sa fuite de son pays d’origine ont fait l’objet de développements lacunaires ; que, dès lors, les craintes invoquées en raison de ces faits ne permettent pas de regarder le requérant comme relevant du champ d’application des stipulations de la Convention de Genève ;

 

Considérant, en revanche, que le bien-fondé de la demande de protection de M. S. doit également être apprécié au regard de la situation sécuritaire prévalant au Soudan et particulièrement au Darfour ; que lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir une menace grave, l’existence d’une menace directe et individuelle contre la vie ou la personne du demandeur n’est pas subordonnée à la condition qu’il rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ; qu’en revanche, lorsque la situation de violence, bien que préoccupante, n’apparaît pas aussi grave et indiscriminée, il appartient au demandeur d’établir qu’il serait, à titre individuel, directement exposé à ladite violence dans le contexte prévalant dans sa région d’origine ;

 

Considérant qu’il ressort de sources publiques disponibles, en particulier des trois derniers rapports du Secrétaire général des Nations Unies des 15 janvier, 25 février et 15 avril 2014 ainsi que des résolutions 2138 et 2148 du Conseil de sécurité des Nations Unies datées respectivement des 13 février et 3 avril 2014, que la situation au Darfour s’est fortement dégradée depuis 2012 et que cette situation doit être admise comme la conséquence d’un conflit armé interne, en raison des nombreuses attaques perpétrées par des groupes rebelles contre les forces gouvernementales et des bombardements aveugles menés par les Forces armées soudanaises dans les zones contrôlées par les rebelles ; que s’il ressort notamment du dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies du 15 avril 2014 que les attaques ont surtout lieu dans le Darfour Nord et le Darfour Méridional (regroupant Darfour central, Darfour Sud et Darfour Est) qui se caractérisent par un degré de violence telle qu’elle doit être qualifiée de violence généralisée de haute intensité, M. S. H. qui a justifié, par ses déclarations, être originaire de la Wilaya de Geneina, au Darfour Ouest, serait obligé pour rejoindre sa région d’origine, dont l’intensité de la violence doit être qualifiée de moyenne ou basse, de traverser le Darfour Nord ou le Darfour Méridional ; que, dès lors, M. S. H. doit être regardé comme particulièrement exposé, en cas de retour dans sa région d’origine, à une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’un conflit armé interne, au sens des dispositions du c) de l’article L. 712-1 du CESEDA sans pouvoir se prévaloir d’une quelconque protection ; que par suite, M. S. est fondé à se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire ;

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