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20 janvier 2014

CNDA GF 20 janvier 2014 M. F. et Mme D. épouse F. n° 12006532 et n° 12006533 R

Principe de l’unité de famille - Inapplicabilité aux ascendants d’une mineure reconnue réfugiée en raison d’un risque d’excision - Reconnaissance de la qualité de réfugié à l’enfant des requérants insusceptible de justifier le réexamen de l’ensemble des faits invoqués - Rejet

Vu, la décision en date du 4 avril 2013 par laquelle la cour a reconnu la qualité de réfugiée à la fille des requérants née en France, en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants non mutilés vivant au sein d’une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale ;

 

Vu le mémoire, enregistré le 19 avril 2013, présenté par le directeur général de l’OFPRA, par lequel il soutient que l’admission au statut de réfugiée de la fille des époux F. par une décision de la cour du 4 avril 2013, est un élément nouveau justifiant le réexamen de la demande de reconnaissance du statut de réfugiés des requérants ; que les intéressés ne sont toutefois pas fondés à se voir reconnaître une protection internationale en raison de leur opposition à l’excision de leur fille ; qu’en effet, ils ne sont pas exposés à des violences en raison de cette opposition, ni ne font valoir de craintes à titre personnel ; qu’ils ne sont pas non plus fondés à se voir étendre la qualité de réfugiés au titre de l’unité de famille ; qu’ils peuvent en revanche obtenir une carte de séjour temporaire mention "vie privée et familiale" prévue tant par la circulaire du 5 avril 2013 que par la directive "qualification" du 13 décembre 2011, laquelle prévoit, pour les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale, la délivrance d’un titre de séjour de plein droit sur le fondement du droit à mener leur vie familiale dans le pays où l’un des membres de la famille a obtenu une protection internationale ;

 

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 20 avril 2013, présenté pour M. F. et Mme D., par Me Berthilier, tendant aux mêmes fins que le recours, par les mêmes moyens ; il soutient en outre que l’admission au statut de réfugiée de leur fille par une décision de la cour du 4 avril 2013 est un élément nouveau justifiant leur nouvelle demande de reconnaissance du statut de réfugié ; que l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu tant par la Convention relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, impose que la même protection reconnue aux enfants soit étendue aux parents ; qu’ils n’ont pas à justifier de risques personnels de persécutions dans leur pays d’origine pour pouvoir bénéficier du principe de l’unité de famille ;

 

Vu la décision du 15 mai 2013 par laquelle la cour, avant de statuer sur les recours de M. F. et de Mme D. épouse F., a sursis à statuer sur ces recours afin de transmettre au Conseil d’Etat, en application de l’article L. 733-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le dossier de l’affaire et lui soumettre une question pour avis ;

 

Vu l’avis du Conseil d’Etat du 20 novembre 2013 se prononçant sur la question posée par la cour ;

 

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

 

Vu la Constitution, notamment le Préambule et l’article 53-1 ;

 

Vu la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;

 

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 

Vu la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990 ;

 

Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 dans  sa rédaction issue du Traité de Lisbonne ;

 

Vu la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil Européen du 13 décembre 2011 ;

(…)

 

Considérant que les recours susvisés nos 12006532 et 12006533 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

 

Considérant qu'aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié énoncées à l'alinéa précédent et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » ;

 

Considérant que, dans le cas où la cour ou le directeur général de l’OFPRA, par une décision devenue définitive, a rejeté la demande d’une personne prétendant à la qualité de réfugiée ou, à défaut, au bénéfice de la protection subsidiaire et où celle-ci, après le rejet d’une nouvelle demande par l’OFPRA, saisit de nouveau la cour, ce recours ne peut être examiné au fond par la juridiction que si l’intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la précédente décision juridictionnelle ou dont il est établi qu’il n’a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s’ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions ou de menaces graves qu’il déclare éprouver ; que, si ces conditions sont remplies, la cour se prononce sur le recoursen tenant compte de l’ensemble des faits qu’il invoque dans sa nouvelle demande, y compris ceux déjà examinés par la cour ;

 

Considérant que par deux décisions en date du 7 juillet 2011, la juridiction a rejeté les précédents recours respectivement introduits par M. F. et son épouse Mme D. épouse F., de nationalité mauritanienne ; que saisi d’une nouvelle demande présentée par chacun des intéressés, le directeur général de l’OFPRA a rejeté ces deux demandes par décisions du 31 janvier 2012 contre lesquelles sont dirigés les présents recours ;

 

Considérant que pour solliciter de nouveau leur admission au bénéfice de l’asile, les requérants soutiennent, en premier lieu, qu’ils éprouvent des craintes personnelles de persécution en raison de leur militantisme pour la défense de la cause négro-mauritanienne ; que M. F. fait valoir qu’il est toujours recherché pour l’action qu’il a menée avant son départ au sein d’une association dénommée « « Daarnade Legnoy », luttant pour que les responsables des événements survenus en Mauritanie entre 1989 et 1991 soient jugés ; que les requérants font aussi valoir qu’ils se sont engagés en France dans le mouvement de contestation contre les conditions discriminatoires imposées à la communauté négro-mauritanienne lors du recensement de la population, conduit depuis mai 2011 et qu’ils seraient encore aujourd’hui recherchés pénalement en Mauritanie pour les opinions qu’ils ont exprimées publiquement en France notamment au cours de manifestations auxquelles ils ont participé ;

 

Considérant que les requérants font valoir, en second lieu, qu’ils ont donné naissance le 20 mai 2011 en France à une fille qui a été reconnue réfugiée le 5 avril 2013 par la CNDA, au motif qu’elle est exposée en cas de retour en Mauritanie à un risque de mutilation génitale féminine ; qu’ils demandent à titre principal à être reconnus réfugiés en raison de leur opposition aux mutilations génitales féminines dans une communauté où une telle opposition n’est pas admise ; qu’ils soutiennent à titre subsidiaire que, si la cour devait estimer leurs craintes personnelles non fondées, les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, imposent que leur soit reconnue la même qualité qu’à leur enfant mineure de même nationalité afin d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par cette convention, sans qu’ils aient besoin de justifier à ce titre de risques personnels de persécutions dans leur pays d’origine ;

 

Sur les craintes exprimées en raison de leurs opinions politiques :

Considérant que le militantisme allégué par M. F. avant son départ de Mauritanie a déjà été examiné par l’office et par la cour qui ne l’ont pas estimé établi dans leurs précédentes décisions ; qu’il n’y pas lieu de réexaminer ces allégations, faute pour l’intéressé d’apporter sur ce point un quelconque élément nouveau susceptible de justifier les craintes alléguées si ce n’est le nom de l’association dans laquelle il militait depuis 2006 mais qui constitue un fait qu’il ne pouvait ignorer à la date de sa première demande ; que pour justifier leur action militante en France, M. F. et Mme D. produisent la copie de deux avis de recherche établis par un juge d’instruction du tribunal régional de Kaédi, datés respectivement du 19 et 23 août 2011, qui sont, selon eux, la conséquence de leur participation aux manifestations organisées en France pour contester les discriminations orchestrées par le gouvernement pour empêcher le recensement de ses ressortissants d’origine négro-mauritanienne, ainsi que des lettres d’amis ou de proches qui confirment leurs craintes de persécutions en cas de retour dans leur pays ; que, toutefois, la seule production de la copie de ces avis de recherche n’est pas suffisante, en l’absence d’explication crédible sur les conditions dans lesquelles l’action publique aurait pu être engagée à leur encontre en Mauritanie pour des faits commis en France et sur les conditions dans lesquelles les intéressés auraient pu avoir accès à ces pièces internes de procédure pénale plus d’un an après leur émission ; que ces circonstances jettent un doute sérieux sur l’authenticité de ces pièces et la réalité des poursuites pénales invoquées ; que les correspondances de proches ou d’amis rédigées pour les besoins de la cause sont dépourvues de valeur probante ; qu’ainsi, les éléments postérieurs allégués par les requérants pour justifier l’existence de craintes personnelles de persécutions en cas de retour dans leur pays en raison de leur appartenance à la communauté négro-mauritanienne et des opinions politiques qui leur seraient imputées par les autorités, ne peuvent être regardés comme établis ;

 

Sur les craintes exprimées en raison de leur opposition à la pratique de l’excision :

Considérant que l’opposition d’une personne aux mutilations sexuelles féminines auxquelles serait exposée sa fille née en France en cas de retour dans le pays d’origine ne peut justifier l’octroi du statut de réfugié au titre de l’appartenance à un certain groupe social que s’il est établi que, du fait de cette opposition, l’intéressé est susceptible d’être personnellement exposé à des persécutions, au sens des stipulations du 2 du A de l’article 1er de la Convention de Genève ; que, par suite,  la seule circonstance que les requérants sont parents d’une enfant née en France et reconnue réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants n’ayant pas subi de mutilations vivant au sein d’une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme ne suffit pas à établir qu’ils seraient de ce seul fait personnellement exposés à un risque de persécution ; que les requérants font aussi valoir qu’ils sont parents de deux petites filles âgées aujourd’hui de cinq ans vivant actuellement en Mauritanie chez la mère de Madame, qui n’ont, selon eux, pas été excisées à leur demande expresse ; que, si les intéressés admettent que ce refus ne suffit pas à prévenir l’excision de ces enfants, cette circonstance démontre à tout le moins que les requérants, qui ont décidé de confier ces enfants à leur famille, ne sont pas exposés au sein de la population à laquelle ils appartiennent en Mauritanie à une hostilité familiale ou sociale de nature à leur faire courir un risque personnel de persécution du fait de leur opposition à la pratique de l’excision ; qu’enfin, le risque que leur fille soit excisée contre leur volonté ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant justifiant l’octroi aux requérants de la protection subsidiaire ; que, par suite, les requérants n’apportent aucun élément nouveau susceptible de justifier qu’ils seraient personnellement exposés à un risque de persécution en Mauritanie du fait de leur opposition à la pratique des mutilations sexuelles féminines, ni qu’ils seraient personnellement  exposés à la menace de subir un traitement inhumain et dégradant ;

 

Sur la circonstance que leur fille née en France a été reconnue réfugiée par décision de la cour du 4 avril 2013 :

Considérant que les requérants soutiennent que l’admission au statut de réfugiée de leur fille mineure par une décision de la cour du 4 avril 2013, postérieure aux dernières décisions de la cour statuant sur leurs demandes d’asile, constitue un élément nouveau justifiant le réexamen de leur nouvelle demande de reconnaissance du statut de réfugié ; qu’il font valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu tant par la Convention relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990, que par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, impose que la même protection reconnue aux enfants soit étendue aux parents sans qu’ils aient besoin de justifier de risques personnels de persécutions dans leur pays d’origine ;

 

Considérant, d’une part, que le droit de mener une vie familiale normale résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale, des articles 3 et 9 de la Convention internationale relative  aux droits de l’enfant et de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, implique que les parents d’un réfugié mineur puissent, en principe, régulièrement séjourner en France avec ce mineur mais ne leur donne pas droit à la reconnaissance de la qualité de réfugié ; que, d’autre part, si les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par la convention, que la même qualité soit reconnue, à raison des risques de persécutions qu’ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille ainsi qu’aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France, ces principes n’imposent pas que le statut de réfugié doive être accordé aux parents d’une réfugiée mineure qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants ou d’adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu’elle encourt personnellement, dès lors qu’ils ne sont pas exposés aux risques de persécution qui ont conduit à ce que le statut de réfugié soit accordé à leur enfant ; qu’ainsi, la circonstance que l’enfant mineure des requérants s’est vu reconnaître le 4 avril 2013 la qualité de réfugiée en raison de son appartenance à un groupe social d’enfants ou d’adolescentes non mutilées et des risques de mutilations sexuelles féminines qu’elle encourt personnellement, si elle est établie et postérieure aux décisions de la cour du 7 juillet 2011, ne constitue pas un élément nouveau susceptible de justifier le réexamen de leurs demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié ;

 

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les recours de M. F. et Mme D. épouse F. doivent être rejetés ;

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