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3 mai 2023

La CNDA énonce les critères du lancement d’alerte dans le cadre du droit d’asile et protège un demandeur russe ayant été intentionnellement privé de soins médicaux dans son pays dans le contexte de poursuites judiciaires toujours en cours.

Le requérant, homme d’affaires évoluant dans les milieux d’influence, alléguait avoir été victime de procédures fallacieuses des autorités à la suite de sa dénonciation de la tentative de corruption dont il a fait l’objet de la part des employés d’une importante banque détenue majoritairement par l’Etat, et que ces circonstances lui ouvraient droit à la protection internationale en sa qualité de lanceur d’alerte.

La Cour se prononce pour la première fois sur le lancement d’alerte au regard des critères du droit d’asile en jugeant que constitue une opinion politique au sens de la convention de Genève, tout signalement ou toute divulgation publique par une personne physique, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, d’informations relatives à des infractions pénales ou des atteintes à l’intérêt général dans lesquelles sont impliquées, directement ou indirectement, les acteurs des persécutions mentionnés à l’article L. 513-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui transpose l’article 6 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011. Le juge de l’asile s’est inspiré des termes de la législation en vigueur et des critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) . La décision note à cet égard que le lanceur d’alerte agit au nom de l’intérêt général et joue un rôle déterminant dans la préservation d’une société démocratique, de sorte que son action peut lui faire craindre d’être exposé à des persécutions, notamment des accusations pénales fallacieuses à son encontre.

Toutefois, la juridiction a estimé en l’espèce que le signalement du requérant était motivé par des considérations opportunistes visant au développement de ses affaires et qu’il ne pouvait dès lors être qualifié comme étant de bonne foi. La Cour n’a pas non plus retenu l’existence d’un lien de causalité entre ce signalement et les procédures pénales diligentées contre lui avant cette initiative. En outre, à l’instar de la CEDH qui a rejeté la requête du requérant en 2021, la Cour relève qu’aucun élément du dossier ne permet de caractériser une violation manifeste de son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, au cours des procédures engagées contre lui en 2014.

En revanche, la décision établit que la Fédération de Russie a sciemment empêché l’administration des soins médicaux dont le requérant, alors placé en détention, devait bénéficier eu égard aux pathologies graves dont il est affecté. La Cour en déduit que, compte tenu des nouvelles poursuites judiciaires dont celui-ci fait l’objet, attestées par la demande d’extradition adressée à la France par les autorités judiciaires russes, il existe un risque sérieux et avéré que l’intéressé soit à nouveau placé en détention et privé intentionnellement des soins requis par son état de santé. La décision admet en conséquence qu’il est exposé à une atteinte grave au sens de l’article L. 512-1 2° du CESEDA, faisant ainsi une application positive de la jurisprudence M’Bodj de la Cour de justice de l’Union Européenne.
La Cour revient enfin sur les circonstances précises du départ de Russie du requérant en s’appuyant notamment sur les nombreuses pièces judiciaires produites au dossier et les comptes rendus médicaux présentant tous de solides garanties d’authenticité, pour en conclure que le requérant n’a pas quitté son pays dans l’unique but d’échapper à des sanctions judiciaires dans le cadre des procédures en faillite d’entreprises intentées contre lui, conduisant ainsi à rejeter le moyen soulevé par l’ OFPRA tendant à l’application de la clause d’exclusion prévue par le 5° de l’article L. 512-2 .
Aucune clause d’exclusion n’ayant été retenue par le juge de l’asile, le requérant se voit admettre au bénéfice de la protection subsidiaire (CNDA 7 décembre 2022 M. V. n°21019971 C +).

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