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27 janvier 2015

CNDA 12 décembre 2014 M. B. n° 14007634 C

« Réfugié sur place » - Article 5 de la directive 2011/95/UE - Mauritanie - Engagement associatif - Opinions politiques imputées - Craintes fondées - Reconnaissance de la qualité de réfugié

Sur les faits nouveaux :

Considérant que, dans le cas où la cour ou le directeur général de l’OFPRA, par une décision devenue définitive, a rejeté la demande d'une personne prétendant à la qualité de réfugié ou, à défaut, au bénéfice de la protection subsidiaire et où celle-ci, après le rejet d'une nouvelle demande par l’OFPRA, saisit de nouveau la cour, ce recours ne peut être examiné au fond par la juridiction que si l'intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la précédente décision juridictionnelle ou dont il est établi qu'il n'a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s'ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions ou de menaces graves qu'il déclare éprouver ; que, si ces conditions sont remplies, la cour se prononce sur le recoursen tenant compte de l'ensemble des faits qu'il invoque dans sa nouvelle demande, y compris ceux déjà examinés par la cour ;

 

Considérant que, par une décision en date du 18 juillet 2011, la juridiction a rejeté un précédent recours introduit par M. B., de nationalité mauritanienne ; que, saisi d’une nouvelle demande de l’intéressé, le directeur général de l’OFPRA l’a rejetée par une nouvelle décision contre laquelle est dirigé le présent recours ;

 

Considérant que, pour solliciter de nouveau son admission au bénéfice de l’asile, M. B. soutient qu’il est toujours activement recherché en Mauritanie par les autorités, qui ont émis des convocations et avis de recherche à son encontre ; qu’il est devenu porte-parole de l’OCVIDH en septembre 2013, et qu’il a pris part à la tentative d’occupation de l’ambassade de Mauritanie à Paris le 23 novembre 2013 ; qu’en raison de son militantisme en France, les autorités mauritaniennes l’accusent de tentatives de déstabilisation depuis l’étranger ; que l’Office ne l’a pas convoqué en entretien, alors qu’il n’en était pas dispensé par la loi, méconnaissant ainsi une garantie essentielle de la procédure d’examen de sa demande d’asile ;

 

Considérant que la nomination du requérant comme porte-parole officiel de l’OCVIDH le 7 septembre 2013, corroborée notamment par les documents issus du site internet de cette organisation versés au dossier et par les photographies produites, constitue un fait établi et postérieur à la dernière décision de la juridiction, et susceptible de justifier les craintes de persécutions qu’il déclare éprouver en cas de retour dans son pays ; qu’il y a lieu, dès lors, de procéder à l’examen des faits invoqués par l'intéressé dans le présent recours ;

 

Sur le bénéfice de l’asile :

Considérant qu'aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ; qu’aux termes de l’article 5 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 relatif aux besoins d’une protection internationale apparaissant sur place : « 1. Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des événements ayant eu lieu depuis le départ du demandeur du pays d’origine. - 2. Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des activités que le demandeur a exercées depuis son départ du pays d’origine, en particulier s’il est établi que les activités invoquées constituent l’expression et la prolongation de convictions ou d’orientations affichées dans le pays d’origine (…) » ; que le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du HCR, réédité en janvier 2002, relève que « 94. (…) [une personne] peut n'avoir décidé de demander la reconnaissance de son statut de réfugié qu'après avoir résidé à l'étranger pendant un certain temps. Une personne qui n'était pas réfugié lorsqu'elle a quitté son pays, mais qui devient réfugié par la suite, est qualifiée de réfugié «sur place». (…)  96. Une personne peut devenir un réfugié «sur place» de son propre fait, par exemple en raison des rapports qu'elle entretient avec des réfugiés déjà reconnus comme tels ou des opinions politiques qu'elle a exprimées dans le pays où elle réside. La question de savoir si de tels actes suffisent à établir la crainte fondée de persécution doit être résolue à la suite d'un examen approfondi des circonstances. En particulier il y a lieu de vérifier si ces actes sont arrivés à la connaissance des autorités du pays d'origine et de quelle manière ils pourraient être jugés par elles » ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié énoncées à l'alinéa précédent et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » ;

 

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le M. B. est devenu membre de l’Organisation contre les violations des droits humains (OCVIDH), dont l’objectif est de lutter contre le racisme, l’esclavage, l’oppression et les discriminations en Mauritanie, et qu’il a milité activement sur le territoire français contre les pratiques discriminatoires mises en place lors de la campagne nationale de recensement lancée par les autorités mauritaniennes en 2011 ; qu’il a participé à de nombreuses manifestations revendicatives, notamment devant l’ambassade de Mauritanie en France, et qu’il a publiquement critiqué les actions des autorités étatiques de son pays d’origine ; qu’en sa qualité de porte-parole de l’OCVIDH depuis septembre 2013, il a régulièrement dénoncé les exactions commises par les forces armées mauritaniennes, et que les communiqués de son organisation sont régulièrement rapportés dans la presse mauritanienne; qu’en raison de son engagement militant au sein de la diaspora mauritanienne et de ses activités publiques de porte-parole, il a acquis une visibilité importante qui pousse les autorités étatiques mauritaniennes à le regarder comme subversif et comme un opposant au régime actuel ; que l’OCVIDH, qui adopte des positions particulièrement critiques contre le président Mohamed Ould Abdel Aziz, et qui est à l’origine de poursuites pénales à l’étranger contre des hauts responsables mauritaniens accusés de torture, apparaît aux yeux des autorités mauritaniennes comme un mouvement d’opposition, accusé d’appeler à l’insoumission ; que l’action du requérant en faveur des droits de l’homme en Mauritanie constitue l’expression et la prolongation des convictions et orientations qu’il avait déjà exprimées dans son pays d’origine, notamment à travers son combat contre les discriminations touchant les Négro-mauritaniens et à travers son adhésion au Collectif des rescapés civils dès 1998 ; que, dans ces conditions, le requérant craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la Convention de Genève susvisée, d’être persécuté en cas de retour, en raison de ses opinions politiques et des opinions politiques qui lui sont imputées, par les autorités étatiques de Mauritanie ; que dès lors, M. B. est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié ;

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