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15 décembre 2014

CNDA 15 juillet 2014 M. S. n° 11016153 C+

Exclusion du bénéfice de l’asile - Agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies - Sri Lanka - Financement du terrorisme - Rejet

Sur les faits nouveaux :

Considérant que, dans le cas où la cour ou le directeur général de l’OFPRA, par une décision devenue définitive, a rejeté la demande d’une personne prétendant à la qualité de réfugié ou, à défaut, au bénéfice de la protection subsidiaire et où celle-ci, après le rejet d’une nouvelle demande par l’OFPRA, saisit de nouveau la cour, ce recours ne peut être examiné au fond par la juridiction que si l’intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la précédente décision juridictionnelle ou dont il est établi qu’il n’a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s’ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions ou de menaces graves qu’il déclare éprouver ; que, si ces conditions sont remplies, la cour se prononce sur le recours en tenant compte de l’ensemble des faits qu’il invoque dans sa nouvelle demande, y compris ceux déjà examinés par la cour ;

 

Considérant que, par une décision en date du 15 juillet 2005, la juridiction a rejeté un précédent recours introduit par M. S., de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoule ; que, saisi d’une nouvelle demande de l’intéressé, le directeur général de l’OFPRA l’a rejetée par une nouvelle décision contre laquelle est dirigé le présent recours ;

 

Considérant que  la condamnation pénale de M. S. en France le 23 novembre 2009 par la 10ème chambre du TGI de Paris et les conséquences de cette condamnation, à savoir la connaissance par les autorités sri-lankaises de ses activités en France, constituent des faits établis et postérieurs au 15 juillet 2005 date de la précédente décision de la cour ; que ces éléments sont susceptibles de justifier les craintes de persécutions qu’il déclare éprouver en cas de retour dans son pays ; qu’il y a lieu, dès lors, de procéder à l’examen des faits invoqués par l’intéressé dans le présent recours ;

 

Sur le bien-fondé de la demande :

En ce qui concerne la demande fondée sur la Convention de Genève :

Considérant qu'aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;

 

Considérant que les éléments versés au dossiers et les déclarations faites en séance publique devant la cour permettent de tenir pour établi que M. S., qui est de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoule craint des persécutions à l’égard des autorités sri-lankaises du fait de son engagement au sein des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) puis en faveur du Comité de coordination tamoul France (CCTF)  ; qu’il a été membre des LTTE ; qu’il a commencé à soutenir le mouvement en 1983 alors qu’il résidait à Jaffna, à cette époque sous le contrôle des Tigres ; qu’il a suivi une formation de six mois au sein des LTTE en 1995 ; qu’il a prêté serment d’allégeance aux LTTE dans une base secrète située près du katcheri de la ville de Jaffna et a reçu le surnom de Ranjan ; qu’il a été affecté à la "section politique" et nommé responsable du LTTE pour Alavetty ; que dans ce cadre, il a mené des actions de propagande et de sensibilisation auprès des villageois et a encouragé l’enrôlement des jeunes Tamouls dans les rangs du mouvement LTTE ; qu’il a porté une arme ; qu’après la reprise du contrôle de la péninsule par l’armée cingalaise, après 1996, il a poursuivi ces activités clandestinement, sous la responsabilité d’Ilamparithi, responsable politique pour les LTTE dans le district de Jaffna ;  qu’il a mené son action au sein du mouvement indépendantiste jusqu’à sa démission en 2000, sous la pression familiale ; qu’il a ensuite fui le Sri Lanka pour sa sécurité ; qu’après son arrivée en France, le responsable du CCTF, un ancien combattant des LTTE, lui a proposé de devenir responsable des collecteurs de la taxe LTTE pour toute la ville de Paris ce qu’il a accepté ; que de 2004 à 2007, il a occupé les fonctions de cadre du CCTF et a également été responsable de la publication au sein du CCTF ; qu’il a lui-même participé à la collecte de fonds et a supervisé cette collecte auprès des commerçants du quartier de la Chapelle à Paris ; qu’interpellé par les autorités françaises en septembre 2007 et condamné par le Tribunal de Grande instance de Paris le 23 novembre 2009, il a été identifié par les autorités sri-lankaises comme étant un opposant au gouvernement ; qu’il ressort par ailleurs de l’instruction, notamment d’un rapport public de l’organisation Human Rights Watch du 7 septembre 2011, intitulé « Bait and Switch on Emergency Law » que les LTTE, s’ils ont été défaits militairement le 18 mai 2009, n’en continuent pas moins d’être perçus par les autorités sri-lankaises comme une menace, qui a justifié la mise en place et le maintien de lois d’exception, dites « Prevention of Terrorism Act (PTA) » et « Emergency Regulations (ER) » permettant l’arrestation et la détention extrajudiciaires des individus suspectés de subversion, et dont l’abrogation, en août 2011, n’a pas mis fin aux autres lois d’urgence autorisant des pratiques analogues ; que des rapports de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date des 22 août 2011 et 12 février 2013, relatifs au traitement réservé aux Tamouls de retour au Sri Lanka, confirment que les ressortissants sri lankais ayant été liés au LTTE sont toujours exposés à des risques dans leur pays, dès lors que le Département d’investigation criminelle (CID) effectue la vérification des antécédents des rapatriés en communiquant avec les postes de police de tous les districts où ces personnes peuvent avoir vécu et que les autorités de l’immigration sont averties de l’arrivée imminente des personnes qui ont été reconduites à la suite du rejet de leur demande d’asile ; que des cas de tortures et de traitements inhumains et dégradants ont été observés à l’endroit de détenus tamouls à l’aéroport de Colombo, ainsi que des détentions arbitraires dans  des conditions inhumaines ; que dans ce contexte, en raison de l’appartenance avérée de M. S. aux LTTE depuis 1995 puis de son rôle de responsable au sein du CCTF, vitrine légale des LTTE en France de 2004 à 2007, M. S. peut craindre avec raison, au sens des stipulations précitées de la Convention de Genève susvisée, d’être persécuté en cas de retour dans son pays pour des motifs  politiques ;

 

S’agissant de l’application de la clause d’exclusion :

Considérant qu’aux termes de l’article 1.F de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 susvisée : « Les dispositions de cette convention ne sont pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser… c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies » ; qu’il y a lieu de tenir compte, pour interpréter ces stipulations, des dispositions de l’article 12 de la directive 2004/83/CE susvisée, intitulé  « Exclusion » et figurant dans le chapitre III de celle-ci, lui-même intitulé « Conditions pour être considéré comme réfugié », lequel prévoit, en ses paragraphes 2 et 3 :  « 2. Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser : [...] c) qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies tels qu’ils figurent dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies. / 3. Le paragraphe 2 s’applique aux personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes visés par ledit paragraphe, ou qui y participent de quelque autre manière » ;

 

Considérant qu’aux termes du paragraphe 5 de la résolution n° 1373 du Conseil de Sécurité des Nations unies, en date du 28 septembre 2001 : « les actes, méthodes et pratiques du terrorisme sont contraires aux buts et principes de l’Organisation des Nations unies et le financement et l’organisation d’actes de terrorisme ou l’incitation à de tels actes en connaissance de cause sont également contraires aux buts et principes de l’Organisation des Nations unies » ; qu’à cet égard la lutte armée opposant le mouvement des LTTE aux autorités sri-lankaises s’est caractérisée par sa durée, sa violence et les exactions massives contre les populations civiles ; que dans ce contexte, le recours par les LTTE à des méthodes terroristes, loin d’être isolé ou imputable à des éléments incontrôlés, a fait partie d’une stratégie d’ensemble parfaitement assumée ; qu’en raison de l’ampleur de ses activités et de ses réseaux financiers et militaires, notamment dans la zone de l’océan indien, de sa capacité à frapper des cibles politiques et militaires de premier plan, y compris en dehors du territoire sri-lankais, et du contrôle de type quasi-étatique qu’elle exerçait sur certaines zones du pays, l’organisation des LTTE disposait des moyens matériels et humains lui permettant d’agir sur la scène internationale ; que les actions terroristes menées par les unités terrestres et maritimes des LTTE, décidées aux plus hauts niveaux de l’organisation, et qui ne sauraient trouver de justification dans la légitimité du but politique recherché, doivent ainsi être qualifiées d’actes contraires aux buts et principes des Nations unies ; que doivent être regardés comme entrant dans le champ d’application des dispositions susvisées de l’article 1er, F, c de la Convention de Genève précité, les éléments des LTTE, qui participent directement ou indirectement à la décision, à la préparation et à l’exécution d’actes de nature terroriste ;

 

Considérant ensuite que, pour l’application des stipulations précitées de la Convention de Genève, le seul fait pour une personne d’avoir appartenu à une organisation notoirement reconnue comme s’étant rendue coupable d’actes de terrorisme ou de crimes commis en bande organisée en dehors du territoire sri-lankais, ne constitue pas automatiquement une raison sérieuse de penser que cette personne a commis des crimes graves de droit commun ou d’agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies ; que l’exclusion du statut de réfugié d’une personne ayant appartenu à une organisation criminelle ou terroriste est subordonnée à un examen individuel permettant d’établir l’existence de raisons sérieuses de lui imputer une responsabilité personnelle en tant qu’organisateur, auteur ou complice de crimes graves de droit commun ou d’agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, notamment à partir de l’examen des fonctions qu’elle exerçait dans cette organisation et de son degré de responsabilité personnelle, de la taille et du degré de structuration de cette organisation et des corrélations suffisantes pouvant être établies entre les faits criminels prouvés et imputés à cette organisation et la situation personnelle de l’intéressé au moment de la perpétration de ces faits ;

 

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. S. a été reconnu coupable de financement d’entreprise terroriste, extorsion par violence, menace ou contrainte de signature, promesse ou secret (terrorisme), et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, le 23 novembre 2009, par le Tribunal de Grande Instance de Paris ; qu’il a été personnellement condamné à quatre ans d’emprisonnement pour avoir occupé une fonction de cadre au sein du CCTF, organisation dont le but principal était de recenser la population tamoule en France et de mettre en place un système de racket au profit de l’organisation LTTE ; qu’il ressort des éléments du dossier et en particulier du jugement pénal du 23 novembre 2009, non frappé d’appel, qu’entre 2004 et septembre 2007, le requérant a assumé un rôle essentiel dans la collecte des fonds sur le territoire parisien ; qu’il a également été responsable de publication au sein du CCTF ; qu’il a supervisé plus particulièrement les collectes des fonds auprès des commerces du quartier de La Chapelle à Paris ; qu’il a, en sa qualité de responsable, supervisé les actions des collecteurs sous ses ordres et a bénéficié d’un statut privilégié dans l’organisation ; qu’il a de fait couvert leurs agissements de collecte effectuée mensuellement auprès des familles et commerçants d’origine tamoule de Paris ; que donc, il a nécessairement couvert de son autorité les actes de rackets, de violences, de menaces et d’extorsions de fonds pratiqués par les collecteurs auprès de la diaspora tamoule de Paris  dans le cadre des responsabilités qu’il a exercées ; que par ailleurs, il a, selon ses dires, lui-même directement agi auprès des Tamouls de Paris pour les pousser à aider financièrement l’organisation ; qu’il s’est ainsi activement et à un haut niveau impliqué dans l’organisation de la collecte de fonds à Paris, participant substantiellement au financement international du mouvement LITE ; que compte tenu de son engagement de longue date au sein des LTTE, de sa position privilégiée dans l’encadrement du CCTF et de ses dires sur le devenir des sommes collectées qu’il savait allouées à l’effort de guerre, l’intéressé ne pouvait ignorer l’usage prévu de l’argent qu’il a contribué à prélever auprès de la diaspora installée à Paris ; qu’enfin les propos du requérant en séance publique devant la cour se sont révélées volontairement confus et élusifs au sujet de sa démission des LTTE en 2000 alors qu’ultérieurement en 2004, le requérant sera sollicité par un ancien combattant des LTTE pour rallier le CCTF, vitrine légale du LTTE en France ; qu’ainsi la démission du requérant des LTTE n’a pu être tenue pour établie à l’issue de l’instruction ; que par ailleurs  les déclarations du requérant lors de son audition devant la cour ont permis d’attester le caractère volontaire de son engagement au sein du CCTF, M. S. ayant précisé qu’il avait souhaité militer au sein du CCTF dès 2004 pour soutenir la communauté tamoule au Sri Lanka ; qu’en outre, le requérant qui reconnaît, au cours de la procédure d’asile, avoir agi volontairement quant à son engagement en faveur de la cause tamoule, fait montre, de surcroît, d’un refus de se désolidariser du mouvement terroriste LTTE ; que dès lors, il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il existe des raisons sérieuses de penser que l’intéressé s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies, notamment à travers son implication dans le financement d’actes terroristes perpétrés par les LTTE en sa qualité de cadre au sein du CCTF et de superviseur des collecteurs de la ville de Paris ; que c’est au regard des stipulations précitées de l’article 1er, F, c de la Convention de Genève du CESEDA, qu’il y a lieu d’exclure M. S. du bénéfice des dispositions  protectrices de la Convention de Genève ;

 

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le recours présenté par M. S. ne peut qu’être rejeté ;

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