Accédez au site du Conseil d'État et de la Juridiction Administrative
26 février 2015

CNDA 18 novembre 2014 M. K. n° 09018932 C+

Ancienne République yougoslave de Macédoine - Risques liés à des anciennes fonctions de commandant d’une unité d’élite de l’armée n’entrant pas dans le champ d’application de la Convention de Genève - Exclusion du bénéfice de la protection subsidiaire - Crime de guerre - Agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies - Attaques et assassinats de civils - Rejet

Considérant que le directeur général de l’OFPRA, par décision du 4 septembre 2009, exclut M. K. du bénéfice de l’asile sur le fondement des stipulations de l’article 1er, F, c, de la convention de Genève, estimant qu’il existait des raisons sérieuses de penser que l’intéressé s’était personnellement rendu coupable d’exactions contre des civils lors d’un conflit armé, d’agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies ; que le requérant conteste cette décision et demande à la cour de lui reconnaître le bénéfice de l’asile ;  que le directeur général de l’OFPRA, dans son mémoire en défense, relève que les dispositions de l’article 1er, F, a, de la convention de Genève sont également de nature à fonder cette exclusion, les faits pouvant être qualifiés également de « crime de guerre » ;  

Sur la reconnaissance de la qualité de réfugié :

Considérant qu’aux termes du 2° du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, la qualité de réfugié est reconnue à « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) » ; qu’au regard de ces stipulations, les opinions politiques susceptibles d’ouvrir droit à la protection ne peuvent être regardées comme résultant d’un engagement au sein d’une institution de l’État que lorsque celle-ci subordonne l’accès des personnes à un emploi en son sein à une adhésion à de telles opinions, ou agit sur leur seul fondement, ou combat exclusivement tous ceux qui s’y opposent ; qu’il y a également lieu de tenir compte, pour interpréter ces stipulations, des dispositions du d) de l’article 10 de la directive susvisée  du 13 décembre 2011 « un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier : ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et  ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante (…) » ; que la seule appartenance à une institution telle que l’armée, la police, les services secrets ou la magistrature, qui est créée par l’État, ne peut dès lors être assimilée à l’appartenance à un groupe social au sens de la convention de Genève ;

Considérant que M. K., de nationalité macédonienne, et appartenant à la communauté slave musulmane, invoque, en cas de retour en Macédoine, des risques liés à ses anciennes fonctions de commandant d’une unité d’élite, dite « Les Loups », alléguant redouter de faire l’objet de vengeance ou d’actes de représailles de la part d’anciens responsables de l’Armée nationale albanaise de Macédoine (ANA) ou d’anciens voisins, ainsi que d’autres membres de la communauté albanaise ; que ces risques ne peuvent être regardés comme se rattachant à l’un des motifs prévus par la convention de Genève ;

Sur la protection subsidiaire :

En ce qui concerne l’existence de menaces graves :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié énoncées à l'alinéa précédent et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » ;

Considérant que M. K., de nationalité macédonienne, et appartenant à la communauté slave musulmane, a effectué son service militaire obligatoire dans l’armée macédonienne (ARM) d'octobre 1998 à juillet 1999, à Bitola puis à Kicevo, et, affecté à l'infanterie, il a suivi une formation dans les unités d'élite anti-terroristes, notamment pour être tireur d’élite, et a intégré plus particulièrement la section anti-terroriste du Ministère de la Défense, dénommée « Les Loups » ; qu’il a été contraint de quitter sa ville natale, Gostivar, en raison des fortes pressions et actes de vandalisme exercés sur son commerce et sa maison par deux voisins, membres de la communauté albanaise, et pour lesquels il n’a pu obtenir de protection de la police ; que, menacé par ces mêmes personnes, il s’est alors rendu avec son épouse fin 2000 à Skopje, mais qu’il a constaté, lors d’un bref séjour dans sa ville natale, que sa maison avait été également saccagée ; que c’est dans ces conditions qu’il a décidé, en janvier 2001, de participer au conflit en s’engageant dans l’armée macédonienne, dans la section anti-terrorisme du Ministère de la défense dénommée les « Loups », en qualité de commandant d’une unité d’élite composée de douze personnes ; qu’il a été affecté à Tetovo, dans la caserne de « Kale », et qu’il s’est trouvé en première ligne des combats contre la rébellion albanaise menée par l’Armée nationale albanaise de Macédoine (ANA) ; que les fonctions de son unité étaient de sécuriser la frontière entre la Macédoine et, respectivement, l’Albanie et le Kosovo, impliquant des combats fréquents avec l’ANA ou encore l’accomplissement de missions secrètes et ciblées consistant à arrêter des terroristes albanais pour les remettre à ses supérieurs ; qu’en 2001, son unité, encerclée à Poroj (Tetovo) par des membres de l'Armée nationale albanaise (ANA), a été arrêtée ; qu’il a été détenu plus d’un mois et torturé, pour n’être libéré qu’à la faveur d’un assaut de l'unité d'élite des « Tigres », unité d’élite spéciale du Ministère des affaires intérieures, et ensuite hospitalisé ; que ses persécuteurs étaient ses deux voisins albanais, désormais commandants dans l’ANA, et qu’il a appris qu’ils étaient à l’origine de l’incendie volontaire de sa maison à Gostivar ; qu’il a alors décidé de rejoindre son unité spéciale, et, même s’il allègue à l’audience une mauvaise compréhension de son histoire par l’OFPRA, il ressort tant de sa propre demande d’asile que de l’entretien, non sérieusement contredits par ses déclarations confuses et imprécises à l’audience, qu’il avait, avec son unité, reçu l'ordre de détruire le village de Poroj dans lequel se trouvait un groupe de l'ANA, comprenant, notamment, plusieurs membres de la famille des deux hommes qui l’avaient persécuté, y compris des civils ; qu’il n’a démissionné de l’ARM que le 1er mai 2003, déçu par la politisation du conflit ; que des membres de son unité ont été tués après les combats et qu’il est entré en clandestinité puis a fui en Italie, de 2004 à août 2008, pour se rendre ensuite en France ;

Considérant que le requérant, citoyen macédonien membre de la minorité slave musulmane de Macédoine, est originaire et résidait dans la ville de Gostivar, foyer de la rébellion, et aujourd’hui majoritairement peuplée d’Albanais et située dans une région dans laquelle le mouvement albanais garde une forte présence ; que ses déclarations sont précises et circonstanciées sur la visibilité particulière qu’il avait en raison des fonctions et des responsabilités exercées pendant le conflit, et sur les menaces dont il a été l’objet, ainsi que sa famille, de la part d’anciens responsables de l’ANA ou de membres de la communauté albanaise, mais aussi sur l’impossibilité d’obtenir une protection ; qu’il est dans ces conditions exposé à des menaces graves de traitements inhumains ou dégradants au sens du b) de l’article L.712-1 précité ;

En ce qui concerne l’exclusion du bénéfice de la protection subsidiaire :

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « la protection subsidiaire n'est pas accordée à une personne s'il existe des raisons sérieuses de penser : a) qu'elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ; b) qu'elle a commis un crime grave de droit commun ; c) qu'elle s'est rendue coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ; d) que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État » ;

Considérant, d’une part, que la notion de crime de guerre doit s’entendre au sens défini par les instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives aux crimes ; qu’elle est définie plus particulièrement par l’article VI du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, et par le 2) de l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale (CPI) adopté le 17 juillet 1998, amendé, et entré en vigueur le 1er juillet 2002 ; que peuvent également être pris en compte d’autres instruments internationaux, et notamment la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, les quatre conventions de Genève du 12 août 1949 relatives à la protection des crimes de la guerre et les deux protocoles additionnels à ces conventions de 1977, les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ; que, comme le relève également l’UNHCR dans ses principes directeurs sur la protection internationale n°5 relatifs à l’application des clauses d’exclusion de la convention de Genève, « un crime de guerre inclut les actes tels que l’homicide volontaire et la torture de civils, le fait de lancer des attaques sans discrimination contre des civils et le fait de priver intentionnellement un civil (…) de son droit d’être jugé de manière juste et équitable » ;  que sont notamment considérés comme des crimes de guerre, au sens des stipulations des actes et conventions précités, les attaques commises lors d’un conflit armé interne ou international contre toute personne ne participant pas ou plus aux hostilités, tels les civils, ou encore la destruction de villes ou de village sans justification militaire ; que, d’autre part, des attaques et assassinats ciblés de civils constituent également des « agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies, tels qu’énoncés aux articles 1 et 2 de la charte de l’ONU ; que, pour l’application de ces dispositions, le seul fait pour une personne d’avoir appartenu à une organisation connue pour s’être rendue coupable d’exactions ne constitue pas une raison sérieuse de penser que cette personne a commis un crime de guerre, un crime grave de droit commun ou des agissements contraires aux buts et principes des Nations-Unies ; qu’une telle exclusion est subordonnée à un examen individuel permettant d’établir l’existence de raisons sérieuses de lui imputer une responsabilité personnelle en tant qu’organisateur, auteur ou complice de ces crimes ou agissements, notamment à partir de l’examen des fonctions qu’elle exerçait dans cette organisation et de son degré de responsabilité personnelle, de la taille et du degré de structuration de cette organisation et des corrélations suffisantes pouvant être établies entre les faits criminels prouvés et imputés à cette organisation et la situation personnelle de l’intéressé au moment de la perpétration de ces faits ;

Considérant qu’il ressort d’une note de l’OFPRA mise dans le contradictoire, et des rapports et articles auxquels elle renvoie expressément, dont le contenu n’a pas été contesté par le requérant, que l’unité spéciale macédonienne des « Loups », qui faisait partie du Ministère de la Défense, avait été créée le 1er mars 1994 par le Général en chef de l’armée, dans le but de lutter contre le terrorisme ; qu’elle comprenait en son sein deux unités d’élites, dites « de réaction rapide », dont celle dite des « Loups », qui comprenait environ 550 soldats d’élite ; que l’activité consistait essentiellement à lutter contre le trafic de drogues et d’armes aux frontières, mais que l’unité des Loups a été envoyée en juillet 2000 en renfort pour assister les gardes frontières, et que sa mission était, durant le conflit de 2001, de prêter main forte à la police macédonienne et aux patrouilles aux postes frontières ; que différents rapports comme ceux de l’organisation Human Rights Watch d’octobre 2001 ou encore des articles de journalistes BBC Monitoring Europe « Macedonian Army special forces torch Albanian villagers houses daily » du 23 septembre 2002, mis dans le contradictoire par l’office, font état des graves violences qui ont été commises par les membres de cette unité à l’encontre de la population civile albanaise, soupçonnée de soutenir la rébellion, à l’occasion de la reprise de certains villages, mais aussi du fait que l’unité des « Loups » y tenait un rôle particulier par ses méthodes violentes ; que le rapport de l’International Helsinki Federation for Human Rights (IHF) sur les 27-28 mai 2002, ou encore celui d’Amnesty international « Ex-République de Macédoine : jours sombres à Tetovo », de juillet 2002, détaillent plus particulièrement les importantes exactions, avec recours à la torture et aux mauvais traitements, qui ont été commises dans la région de Tetovo, y compris le village de Poroj, relevant qu’il s’agissait d’un acte de vengeance faisant suite à une confrontation armée de mars 2001 avec les factions armées albanaises ;

Considérant en l’espèce que le conflit armé interne de Macédoine a débuté au début de l’année 2001 pour prendre fin avec l’accord-cadre d’Ohrid signé le 13 août 2001, sous l’encadrement de l’ONU ; qu’il s’est traduit par de violents affrontements opposant l’Armée de libération nationale (UCK) aux forces de sécurité macédonienne, essentiellement dans la région de Tetovo ; que le requérant s’est volontairement engagé dans une unité d’élite, dénommée « les Loups », de janvier 2001 à mai 2003, comprenant 140 personnes et organisée en groupes de douze personnes, dirigés par des « sergents » ; que le requérant, chargé de l’encadrement de l’un de ces groupes en sa qualité de « sergent », était plus particulièrement chargé de la surveillance des lieux de passage du trafic d’armes, mais aussi de mener des attaques contre certains lieux suspectés d’abriter des combattants albanais ; qu’il résulte tant des déclarations faites à l’appui de sa demande d’asile que de l’entretien à l’OFPRA, particulièrement détaillées et circonstanciées, notamment sur les modalités de l’attaque, mais aussi de l’audience, que le requérant a, notamment, participé à de nombreuses opérations dans la région de Tetovo où de nombreuses exactions ont été commises, plus particulièrement par le groupe auquel il appartenait, y compris une opération importante à Poroj au cours de laquelle des civils ont été tués, après avoir, selon le requérant, été endormis avec des gaz ; qu’il n’ignorait pas que des proches de l’un de ses voisins qui l’avaient persécuté dans son village de Gostivar, incendiant sa maison, puis lors de sa détention, étaient présents lors de cette opération, le requérant mentionnant même qu’il s’agissait d’oncles et de petits-fils qu’il connaissait ; qu’interrogé sur la présence de survivants, il a répondu qu’il s’agissait d’une unité d’élite et qu’il obéissait aux ordres si on lui demandait de tirer, sans toutefois établir avoir agi sous la contrainte ; que cette seule obéissance alléguée aux ordres ne permet pas d’atténuer la portée des exactions commises ; qu’il a ajouté, en réponse aux questionnements de l’officier de protection, avoir pris de la drogue pour être en mesure de supporter les exactions et les combats, et d’assassiner avant de l’être soi-même ; que la circonstance qu’il ait lui-même subi des persécutions de la part des proches de civils alors assassinés, ne permet pas de regarder ses agissements comme un acte de défense ou de défense d’autrui ou de biens, raisonnable et proportionné ; que les motifs invoqués ne sauraient ainsi constituer des motifs d’exonération de sa responsabilité ; que s’il a expliqué à l’audience avoir des regrets aujourd’hui, il n’a exprimé aucune désolidarisation à l’époque des exactions commises, et il n’a quitté cette unité que pour des motifs liés à une divergence de politique, en 2003, à un moment où elle était d’ailleurs en pleine restructuration ; qu’ainsi, en dépit des dénégations du requérant à l’audience, il existe des raisons sérieuses de penser que le requérant a participé personnellement à des assassinats ciblés de civils, dans l’exercice de fonctions d’encadrement, dans un objectif de vengeance du groupe mais également personnelle ; que ces faits doivent être qualifiés de crime de guerre au sens du a) de l’article L.712-2 et d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies au sens du c) du même article ; que M. K. doit, dès lors, être exclu du bénéfice de la protection subsidiaire en application de ces dispositions, et que le recours doit être rejeté ;

A savoir