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26 février 2015

CNDA 19 décembre 2014 Mme W. n° 14017576 C

Orientation sexuelle - Évaluation de la crédibilité d’une demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle - République démocratique du Congo - Certain groupe social - Article 10.1 d) de la directive 2011/95/UE - Faits non établis - Rejet

Considérant que, pour demander la reconnaissance de la qualité de réfugiée ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire, Mme W., ressortissante de la République démocratique du Congo (RDC), soutient qu’elle craint des persécutions ou s’expose à une menace grave de la part d’hommes de main de son concubin, un député, du fait de son orientation sexuelle ; qu’à quatorze ans, elle a eu sa première relation amoureuse avec une femme pendant deux ans ; que ses parents l’ont contrainte à épouser en février 2005 un député âgé en raison de leurs doutes sur son orientation sexuelle ; qu’elle a vécu neuf ans avec lui, qu’ils ont eu deux enfants ; qu’il lui a infligé des sévices ; qu’en mai 2013, elle a rencontré une touriste canadienne sur son lieu de travail et en est tombée amoureuse ; qu’elle a assisté à plusieurs réunions d'une association de femmes homosexuelles dans le restaurant Flor, un lieu de rencontre pour les gays et les lesbiennes ; que son mari l’a violemment frappée et violée lorsqu’il l’a appris ; qu’après le départ de cette touriste, elle a continué à fréquenter le milieu des lesbiennes à Kinshasa ; que lorsque son concubin l’a su, usant de son influence, il l’a faite arrêter ainsi que neuf autres femmes fréquentant le restaurant Flor ; que, détenue dans un lieu inconnu pendant dix jours, elle a été violée et traitée de sorcière par les gardiens ; qu’une fois libérée, elle est partie vivre chez sa mère, qui l’a ensuite rejetée, puis chez une amie ; qu’après avoir reçu trois convocations des autorités, elle a quitté le pays ;

 

Considérant, d’une part, qu'aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ;

 

Considérant, d’autre part, que, selon le d) de l’article 10 de la directive susvisée du 13 décembre 2011, « un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier: — ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et — ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ; » ;  que ces dernières dispositions ont été éclairés par la CJUE à deux reprises ; que, dans les affaires X, Y et Z/Minister voor Immigratie en Asiel (C-199/12, C-200/12, C-201/12) du 13 décembre 2013, la Cour relève que l’existence d’une peine d’emprisonnement qui pénalise des actes homosexuels est susceptible, à elle seule, de constituer un acte de persécution à condition qu’elle soit effectivement appliquée et qu’on ne peut exiger du demandeur d’asile qu’il dissimule son homosexualité dans son pays d’origine ou fasse preuve d’une réserve dans l’expression de cette orientation sexuelle ;  que, dans les affaires A,B,C/ Stasstssecretaris van Veiligheid en Justitie (C-148/13 à C-150/13) du 2 décembre 2014, la CJUE précise les critères d’appréciation par les autorités compétentes des déclarations et des éléments de preuve présentés à l’appui des demandes d’asile, et les interrogations et recherches susceptibles d’établir une telle orientation ;

 

Considérant qu’un groupe social est, au sens de ces stipulations et dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; qu’en fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions ; qu’il convient dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ; que cette appréciation doit, en outre, être suffisamment précise et pouvoir tenir compte, le cas échéant, des spécificités éventuelles de ce regard sur les différents composantes de ce groupe ; que la circonstance que l’appartenance au groupe social ne fasse l’objet d’aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l’appréciation de la réalité des persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l’absence de dispositions pénales spécifiques reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles ; que l’obtention du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur l’orientation sexuelle ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié dès lors que le groupe social, au sens des dispositions précitées, n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions ;

 

Considérant qu’il ressort des sources fiables publiquement disponibles consultées, comme la note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée « République démocratique du Congo : information sur la situation des minorités sexuelles, y compris les lois et le traitement qui leur est réservé par la société et les autorités ; protection offerte par l’État et services de soutien » (2011-février 2014), les Country Reports on Human Rights Practices pour 2013 du département d’Etat des États-Unis ou encore le rapport de mission en République démocratique du Congo du 30 juin-7 juillet 2013 de l’OFPRA et les documents auxquels il renvoie, que, s’agissant du cadre législatif et de l’attitude des autorités, si les relations sexuelles entre adultes ne font pas l’objet de peines pénales, des projets de lois sont toutefois régulièrement déposés, comme en 2010 ou en 2013, dans le but de criminaliser les pratiques présentées comme « contre-nature » ; que les homosexuels peuvent faire l’objet de détentions arbitraires dans le but de leur extorquer de l’argent ; que, d’autre part, la perception de la société est elle-même négative ; que l’homosexualité est regardée comme une atteinte grave aux bonnes mœurs et une mauvaise pratique importée de l’Occident et contraire aux coutumes ; que,  présentée comme immorale, elle est parfois assimilée à de la sorcellerie  ; que s’il n’y a pas de violences systématiques à l’égard des communautés homosexuelles, le sujet reste tabou et de nombreuses formes d’hostilité subsistent, se traduisant par le rejet, parfois assorti de violences, de la part de leur famille, mais aussi de leur stigmatisation de la part de la société, sous forme, notamment, de discriminations et d’agressions physiques ciblées ; que, par crainte de représailles, les homosexuels cachent leur orientation sexuelle, même si des évolutions significatives ont pu être relevées dans certaines villes, comme à Kinshasa ; que, dès lors, les homosexuels constituent dans ce pays, en raison de leur caractéristique commune, liée à leur orientation sexuelle, un groupe social au sens du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève ;

 

Considérant que l’orientation sexuelle de la requérante n’a pu être établie ; que ses déclarations, notamment, sur la prise de conscience de son homosexualité, sur un éventuel sentiment de différence par rapport aux autres personnes en résultant ou encore sur les incidences de cette orientation sur ses relations familiales ou amicales n’ont été présentées  que de manière vague et confuse ; qu’elle n’a pu ni donner des précisions sur les femmes qu’elle aurait rencontrées, ni expliquer concrètement la manière dont elle organisait leurs rencontres, tant avant que pendant son mariage, y compris dans le choix des lieux ou les précautions prises pour éviter le regard des autres , que ses propos évasifs et non circonstanciés n’ont d’ailleurs pas permis de comprendre la manière dont elle aurait ou non souhaité cacher cette orientation et, dans l’affirmative, les stratégies de protection qu’elle aurait mises en place, ni même si ses parents ou ses proches connaissaient ou non son homosexualité, et de comprendre leur réaction ; qu’invitée à parler de son amie canadienne, elle n’a tenu que des propos non circonstanciés, sans pouvoir les étayer notamment quant aux modalités de leur rencontre ; qu’invitée à décrire les lieux de fréquentation du milieu des femmes homosexuelles à Kinshasa, elle s’est bornée à citer un nom de restaurant, sans pouvoir donner des éléments plus détaillés ; que, s’agissant de son époux, elle a donné des éléments contradictoires sur son union avec ce dernier, mais aussi sur son nom et ses fonctions de député, y compris concernant le parti auquel il appartenait et le poste qu’il occupait ; qu’ainsi, par exemple, elle indique dans son récit initial, que son époux porte le nom de M., né le 17 octobre 1957, et représente le parti du président Kabila à Mbandaka, alors qu’en entretien, elle a affirmé qu’il a été élu à Djolu en Équateur ; qu’à cet égard, il y a lieu de relever que le député de Djolu, est membre du Mouvement de libération du Congo (MLC), parti présidé par Jean-Pierre Bemba, et s’appelle en réalité M. B., né le 18 juillet 1961 ; qu’interrogée sur cette incohérence, elle soutient ensuite que son conjoint s’appelle B., et, à nouveau interrogée à l’audience sur ce point, elle affirme désormais qu’il est le député de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) ; que de plus, les extraits d’actes de naissance de ses deux enfants versés au recours, sur lesquels figure, à la mention nom du père, le nom de M. B., ne peuvent suffire à attester la réalité de son union avec un député, eu égard aux nombreuses contradictions relevées ; qu’elle n’a pu, enfin, donner une description suffisamment précise des conditions de sa détention ; que les documents produits et présentés comme étant trois convocations policières, en date du 30 mai 2013, du 18 juin 2013 et du 14 août 2013, ainsi qu’un mandat d’amener en date du 4 octobre 2013, n’ont pas de valeur probante compte tenu des ses déclarations inconsistantes sur ce point, et l’ignorance dont elle a fait preuve concernant les motifs de ces mesures ; que dès lors, ni les pièces versées au dossier ni les déclarations faites à huis-clos devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées, tant au regard des stipulations de la convention de Genève qu’au regard des dispositions de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précitées ; que, dès lors, le recours de Mme W. doit être rejeté ;

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