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15 décembre 2014

CNDA 28 octobre 2014 M. G. et Mme J. épouse G. n° 14004102 et n° 14004103 C+

Personne reconnue réfugiée dans un autre Etat membre de l’Union européenne - Requérants de nationalité albanaise reconnus réfugiés en Grèce - Absence de transfert de protection à défaut d’admission préalable au séjour - Non-renversement de la présomption d’effectivité de la protection en Grèce - Rejet

Considérant que les requérants, ressortissants albanais, se sont vus reconnaître par les autorités grecques le 10 mai 2011, en application des stipulations de la Convention de Genève, la qualité de réfugié, sur le fondement des risques de persécution auxquels ils étaient exposés en Albanie en raison  des opinions politiques de M. G. ; qu’ils soutiennent avoir été l’objet sur le territoire grec, de menaces émanant de personnes originaires d’Albanie; qu’entrés, avec leurs trois enfants en invoquant ces menaces et sans avoir été préalablement admis au séjour, sur le territoire français le 4 mai 2013, pour y demander l’asile, ils ont vu leurs demandes rejetées par des décisions du 31 décembre 2013 du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ; qu’ils demandent à la cour la reconnaissance de la qualité de réfugié ;

 

Considérant qu'aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne  « qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses  opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la  protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 31 de cette même convention : « Les États contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières. » ; qu’aux termes du 1 de l’article 33 de cette même convention : « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » ;

 

Considérant qu’il résulte de ces stipulations que lorsqu’une personne s’est vu reconnaître le statut de réfugié dans un État partie à la Convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’État dont elle a la nationalité, elle ne peut plus, aussi longtemps que le statut de réfugié lui est maintenu et effectivement garanti dans l’État qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d’un autre État, sans avoir été préalablement admise au séjour, le bénéfice des droits qu’elle tient de la Convention de Genève à raison de ces persécutions ; que, par suite, si une personne reconnue comme réfugiée, au titre de la convention, par un autre État partie que la France ne peut, aussi longtemps que la qualité de réfugié lui demeure reconnue par cet État, être reconduite depuis la France dans le pays dont elle a la nationalité, et s’il est loisible à cette personne de demander à entrer, séjourner ou s’établir en France dans le cadre des procédures de droit commun applicables aux étrangers et, le cas échéant, dans le cadre des procédures spécifiques prévues par le droit de l’Union européenne, cette personne ne saurait, en principe et sans avoir été préalablement admise au séjour, solliciter des autorités françaises que lui soit accordé le bénéfice du statut de réfugié en France ;

 

Considérant, toutefois, qu’une personne qui, s’étant vu reconnaître le statut de réfugié dans un État partie à la Convention de Genève, sur le fondement de persécutions subies dans l’État dont elle a la nationalité, demande néanmoins l’asile en France, doit, s’il est établi qu’elle craint avec raison que la protection à laquelle elle a conventionnellement droit sur le territoire de l’État qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié n’y est plus effectivement assurée, être regardée comme sollicitant pour la première fois la reconnaissance du statut de réfugié ; qu’il appartient, en pareil cas, aux autorités françaises d’examiner sa demande au regard des persécutions dont elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité ; qu’en cas de rejet de sa demande, elle ne peut, sous réserve, le cas échéant, de l’application des dispositions pertinentes du droit de l’Union européenne, se prévaloir d’aucun droit au séjour au titre de l’asile, même si la qualité de réfugié qui lui a été reconnue par le premier État fait obstacle, aussi longtemps qu’elle est maintenue, à ce qu’elle soit reconduite dans le pays dont elle a la nationalité, tandis que les circonstances ayant conduit à ce que sa demande soit regardée comme une première demande d’asile peuvent faire obstacle à ce qu’elle soit reconduite dans le pays qui lui a déjà reconnu le statut de réfugié ;

 

Considérant, enfin, qu’eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les États membres de l’Union européenne, lorsque le demandeur s’est vu en premier lieu reconnaître le statut de réfugié par un État membre de l’Union européenne, les craintes dont il fait état quant au défaut de protection dans cet État membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l’intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire ; que cette présomption ne saurait toutefois valoir, notamment, lorsque cet État membre a pris des mesures dérogeant à ses obligations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, sur le fondement de l’article 15 de cette convention, ou dans le cas où seraient mises en œuvre à l’encontre de cet État membre les procédures, prévues à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, soit de prévention, soit de sanction d’une violation des valeurs qui fondent l’Union européenne ;

 

Considérant, en premier lieu, que M. G. et Mme J. épouse G. se sont vu reconnaître, comme il a été dit ci-dessus, la qualité de réfugié par les autorités grecques le 10 mai 2011 sur le fondement des stipulations du paragraphe A, 2° de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, en raison des risques de persécutions auxquels ils sont exposés en Albanie ; qu’ils n’ont pas été admis au séjour en France ; que, par suite, ils ne sont pas fondés à demander aux autorités françaises le bénéfice des droits qu’ils tiennent de la Convention de Genève à la suite de la reconnaissance par les autorités grecques de leur qualité de réfugiés en raison des craintes de persécutions auxquelles ils sont exposés dans le pays dont ils ont la nationalité ;

 

Considérant, en second lieu, que, si M. G. expose avoir été menacé et victime d’intimidations, en Grèce à compter de l’année 2010, par un groupe d’individus d’origine albanaise qui serait en lien avec l’ancien Premier Ministre M. Sali Berisha, ses déclarations faites en séance publique sont demeurées insuffisantes pour faire la lumière sur les actes malveillants dont il aurait été la cible ainsi que sur ses agents persécuteurs en Grèce ; qu’en effet, dans ses écrits, il s’était principalement borné à évoquer des menaces téléphoniques ; qu’au cours de l’audience, il a évoqué des tentatives d’agressions qui ont été relatées de manière trop superficielle ; que d’une manière générale, les propos des époux G. sont restés trop succincts sur leurs conditions de vie  –notamment les nombreux changements de domicile dont ils font état - entre 2011 et 2013 et la manière dont ils auraient été retrouvés et visés par des individus d’origine albanaise ; qu’au surplus, leurs déclarations respectives n’ont pas permis de situer clairement dans le temps les démarches qu’ils auraient entreprises à deux reprises dans un commissariat d’Athènes ; que les démarches entreprises auprès d’un avocat ou conseil juridique d’une organisation internationale n’ont pas plus donné lieu à des explications convaincantes ; que par ailleurs leurs assertions relatives au refus des autorités grecques d’enregistrer leurs plaintes et à l’incapacité ou l’absence de volonté des mêmes autorités de leur assurer une protection effective face à ce groupe d’individus n’ont pas été étayées par des déclarations orales suffisamment circonstanciées et convaincantes ; qu’également, les assertions de M. G. se sont avérées trop vagues pour établir ses accusations de collusion entre ses tourmenteurs et la police grecque ; que si une note de la Commission d’Immigration et du Statut de Réfugié du Canada, intitulée « Grèce : information sur le traitement réservé aux Albanais de souche, y compris sur la communauté albanaise […] » du 26 février 2014 indique les Albanais se heurtent à des discriminations, notamment institutionnelles, le même document atteste néanmoins que les Albanais, qui seraient entre 500 000 et un million en Grèce, constituent [traduction] « le groupe d’immigrants [le mieux] intégré, en comparaison avec d’autres groupes » ; qu’en outre, si la pratique grecque en matière d’asile a été dénoncée dans une note d’information du Haut Commissariat pour les Réfugiés du 15 avril 2008 et un rapport du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe du 4 février 2009, ces informations ont trait aux seuls demandeurs d’asile ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la situation soit comparable pour les personnes ayant été reconnues réfugiés sur le sol grec ;

 

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, que les éléments invoqués par M. G. et Mme J. épouse G. ne sont pas suffisants pour renverser la présomption du caractère non fondé de leur demande quant à l’incapacité des autorités grecques à leur assurer la protection conventionnelle à laquelle ils ont droit sur le territoire de cet État membre de l’Union européenne en leur qualité de réfugiés ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner les demandes de reconnaissance de la qualité de réfugiés présentées en France par les requérants à raison des craintes qu’ils déclarent éprouver dans le pays dont ils ont la nationalité ; qu’il suit de là que les recours de M. G. et de Mme J. épouse G. doivent être rejetés ;

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