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27 janvier 2015

CNDA 4 novembre 2014 M. S. n° 13021072 C

Orientation sexuelle - Ghana - Certain groupe social - Article 10.1 d) de la directive 2011/95/UE - Craintes fondées - Reconnaissance de la qualité de réfugié

Considérant qu'aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ; qu’aux termes de l’article 10, 1. d) de la directive 2011/95/CE susvisée : «un groupe est considéré comme un certain groupe social lorsque, en particulier: - ses membres partagent une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée, ou encore une caractéristique ou une croyance à ce point essentielle pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé d’une personne qu’elle y renonce, et - ce groupe a son identité propre dans le pays en question parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante. En fonction des conditions qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle. L’orientation sexuelle ne peut pas s’entendre comme comprenant des actes réputés délictueux d’après la législation nationale des États membres. Il convient de prendre dûment en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre, aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe; » ;

 

Considérant qu’un groupe social est, au sens de ces stipulations, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ; qu’en fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, à raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions ; qu’il convient dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié à raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ; que l’octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur des orientations sexuelles communes ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié dès lors que le groupe social, au sens des dispositions précitées, n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions ; que la circonstance que l’appartenance au groupe social ne fasse l’objet d’aucune disposition pénale répressive spécifique est sans incidence sur l’appréciation de la réalité des craintes de persécutions à raison de cette appartenance qui peut, en l’absence de toute disposition pénale spécifique, reposer soit sur des dispositions de droit commun abusivement appliquées au groupe social considéré, soit sur des comportements émanant des autorités, encouragés ou favorisés par ces autorités ou même simplement tolérés par elles ;

 

Considérant qu’en l’espèce, les explications précises, spontanées et sincères de M. S. de nationalité ghanéenne permettent d’établir qu’ ayant découvert son homosexualité à l’adolescence, il a été marié de force par son père en juillet 2012 ; qu’il a été enfermé durant sept jours par son père, afin de le contraindre à consommer le mariage ; qu’il a fui grâce à l'intervention de sa mère ; qu’il a rejoint Accra où, craignant des poursuites judiciaires, il a décidé de fuir définitivement son pays alors qu’il était menacé par ses proches ; qu’il a exposé de manière personnelle et détaillée les circonstances dans lesquelles il a pris conscience de son homosexualité ; que l’homosexualité est pénalement réprimée au Ghana en son chapitre 6 du Code pénal de 1960 amendé par la loi de 2003 qui prévoit des peines allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement en cas d’acte qualifié de « contre nature » ; qu’il ressort du rapport relatif à La situation des droits humains dans le monde pour l’année 2013 publié par Amnesty International et du Rapport pays sur les pratiques des droits de l’Homme au Ghana du Département d’Etat américain pour l’année 2013 que les droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI) sont bafoués au Ghana ; qu’il existe une recrudescence  de l’homophobie au Ghana notamment depuis les déclarations en juillet 2011 du ministre de la région de l’Ouest, condamnant l’homosexualité et invitant la population à faire disparaître les homosexuels de la société civile ; que ces mêmes sources montrent que dans ce pays, les personnes homosexuelles sont victimes d’homophobie de la part de la société ghanéenne, qui se manifeste par des actes de violence, des homicides, du chantage, des extorsions, des agressions et des enlèvements ; qu’ainsi, deux jeunes présumés homosexuels ont été lynchés en mai 2014 à Accra sans que les autorités ne puissent les protéger ni retrouver leurs agresseurs ; que l'attitude de la police envers les LGBTI, leur stigmatisation et les fréquentes intimidations subies sont autant de facteurs qui entravent la protection de cette catégorie de la population par les autorités ; que, dans ce contexte, les conditions prévalant au Ghana permettent d’assimiler les personnes partageant une orientation sexuelle LGTBI à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante et les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe ; qu’ainsi, M. S. doit être regardé comme craignant avec raison au sens des stipulations précitées de la Convention de Genève, d’être persécuté par les autorités et ses compatriotes en cas de retour dans son pays d’origine du fait de son appartenance à un certain groupe social au motif de son homosexualité ; que, dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié ;

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