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15 décembre 2014

CNDA 5 septembre 2014 M. T. n° 13033544 C

Définition de l’acte de persécution - Caractère de gravité - Article 9.1 d) de la directive 2011/95/UE - Turquie - Minorité grecque orthodoxe - Rejet

Considérant qu’aux termes des stipulations du paragraphe A, 2° de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays » ; et qu’aux termes de l’article 9 de la directive 2011/95/UE, relatif aux actes de persécution : 1. Pour être considéré comme un acte de persécution au sens de l’article 1er, section A, de la convention de Genève, un acte doit: a) être suffisamment grave du fait de sa nature ou de son caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…) » ;

 

Considérant qu’aux termes de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, « sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions d'octroi du statut de réfugié énoncées à l'alinéa précédent et qui établit qu'elle est exposée dans son pays à l'une des menaces graves suivantes : a) la peine de mort ; b) la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) s'agissant d'un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international » ;

 

Considérant que, pour demander la reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire, M. T., de nationalité turque et d’origine grecque orthodoxe, soutient qu’il craint d’être persécuté par les autorités turques et des ressortissants syriens réfugiés en Turquie en raison de son appartenance à la minorité chrétienne orthodoxe ; qu’originaire du village d’Altinozu dans la région d’Antioche, il a souffert depuis son enfance de discriminations particulièrement dans le cadre éducatif et professionnel, en raison de cette confession et a été contraint d’interrompre ses études ; que par le passé, son village a fait l’objet d’attaques de villages voisins musulmans ; qu’il craint pour sa sécurité en raison de la présence de combattants syriens réfugiés dans sa région d’origine, qui agissent contre les chrétiens en toute impunité, et ont tué des prêtres de sa communauté ; que le commerce de son beau-frère a fait l’objet de ces exactions ; que face à cette situation, de nombreux chrétiens de son village ont fui ; que sur les deux mille habitants de son village, seuls trois cents y sont restés ; qu’il a dénoncé ces actes et l’attitude hostile de membres du Parti pour le Développement et la Justice (AKP) à son égard, auprès des autorités locales, qui n’ont pas fait suite à sa demande de protection ; que sa demande de visa lui ayant été refusée, il a quitté la Turquie de manière clandestine depuis Istanbul, puis, après être passé par la Hongrie et l’Allemagne, il est arrivé en France le 3 novembre 2012 ;

 

Considérant que le requérant a invoqué de manière constante et générale la situation de violence et d’insécurité prévalant dans sa région d’origine à l’encontre des individus de confession grecque orthodoxe, sans jamais faire état de menaces ou persécutions à son égard justifiant des craintes personnelles et directes ; que les mauvais traitements subis par ses proches, sommairement évoqués lors de l’audience publique devant la cour, sont apparus sans influence sur sa situation personnelle ; qu’à ce titre, il n’a pas été en mesure d’expliquer l’évènement l’ayant conduit à quitter la Turquie à la fin du mois d’octobre 2012, se limitant à invoquer l’absence de liens familiaux à Istanbul, localité où il s’était installé quelques mois avant son départ du pays ; qu’il fait valoir que les chrétiens de Turquie et particulièrement les grecs orthodoxes sont persécutés du fait des autorités locales majoritairement musulmanes et des réfugiés syriens présents dans sa région ; que néanmoins il ressort des sources d’information géopolitique publiques disponibles et notamment du dernier rapport du US Departement of States de 2013 portant sur les libertés religieuses en Turquie, que la communauté grecque orthodoxe de Turquie, représentant entre mille sept cents et deux mille cinq cents personnes, est une des trois minorités à bénéficier du statut issu du Traité de Lausanne de 1923 et en ce sens, jouit de jure d’une protection « pleine et entière » assurée par les autorités turques, de la reconnaissance d’un statut personnel pour ses membres et du droit à l’enseignement ; que si les mêmes sources rappellent que les autorités turques ont entravé la liberté religieuse de cette minorité notamment par une décision judiciaire de 2007 visant à ne pas reconnaître le caractère œcuménique du Patriarcat de l’Église grecque orthodoxe, ces obstacles qui ne se manifestent pas de façon systématique ne sont pas qualifiables de persécutions ou de menaces graves au sens des dispositions relatives à la protection internationale au titre de l’asile en particulier de l’article 9.1 a) de la directive 2001/95/UE précité ;

 

Considérant que, par ailleurs, le requérant allègue que les habitants de son village majoritairement de confession grecque orthodoxe ont fui leur localité, en raison des violences perpétrées à leur encontre par les réfugiés syriens installés dans la région d’Antioche ; que toutefois, si différentes sources d’information géopolitique publiques disponibles, en particulier un rapport d’octobre 2013 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, constatent que l’afflux important de réfugiés syriens en Turquie – estimés à huit cent quinze mille selon un rapport du 29 août 2014 de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés - a créé des tensions dans les régions frontalières entre la Turquie et la Syrie, les allégations du requérant concernant l’aggravation des violences spécifiquement à l’encontre de la minorité grecque orthodoxe n’ont pas été étayées par des éléments concrets  tangibles ; qu’ainsi, en l’absence de précisions substantielles et personnalisées de sa part, la seule appartenance du requérant à la minorité grecque orthodoxe de Turquie ne permet pas d’établir des risques de persécutions en cas de retour dans son pays ; qu’enfin, s’il fait valoir ses démarches auprès de dirigeants locaux en vue de se prévaloir de leur protection, il n’a pas été en mesure de donner quelque information précise et consistante sur ce point, de sorte que le défaut allégué de protection des autorités de son pays n’a pu être retenu ; 

 

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique devant la cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ni au regard des stipulations de l’article 1 A 2° de la Convention de Genève ni au regard des dispositions de l’article L. 712-1 du CESEDA ; que, dès lors, le recours de M. T. doit être rejeté ;

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