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5 mars 2024

Haïti : le pays connait une situation de violence aveugle en raison du conflit armé interne qui s’y déroule. A Port-au Prince et dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite, cette violence est d’une intensité exceptionnelle.


Réunie en formation solennelle, la Cour a jugé que l’augmentation constante des affrontements armés opposant la Police nationale haïtienne (PNH) aux gangs rivaux et groupes d’autodéfense, dont l’organisation a atteint un niveau significatif, ainsi que la durée et l’extension géographique de la violence qui désormais cible intentionnellement les civils, caractérisent un conflit armé interne au sens du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), justifiant l’octroi de la protection subsidiaire.
Saisie d’une demande de protection internationale par un ressortissant haïtien dont les proches résident dans la commune de Croix-des-Bouquets, située dans le département de l’Ouest, et qui faisait valoir des craintes d’être à nouveau attaqué et rançonné par des membres d’un gang armé et d’être plus particulièrement exposé à la violence compte tenu de ses handicaps et de troubles mentaux sévères, la Cour a écarté tout d’abord l’octroi du statut de réfugié, les faits allégués par le requérant- absent à l’audience publique à laquelle il était convoqué- n’ayant pas été établis, avant d’examiner le bien-fondé de sa demande eu égard à la situation prévalant dans le pays.
Se faisant, elle rappelle au préalable le cadre d’analyse de la protection subsidiaire défini dans une précédente décision de la grande formation de la Cour validée par le Conseil d’Etat (CNDA (GF) 19 novembre 2020 M. MORADI n°18054661 R et CE CHR 9 juillet 2021 M. MORADI n°448707 A), imposant la prise en compte globale des circonstances du cas d’espèce examiné, en l’occurrence « la situation du pays d’origine du demandeur, les critères quantitatifs relatifs au nombre de victimes, l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence, la durée du conflit, l’étendue géographique de la situation de violence, ou l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants ».
En s’appuyant sur des sources internationales récentes, notamment les rapports trimestriels du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) et ceux du Secrétaire général du Conseil de sécurité des Nations unies pour les années 2022 et 2023, la Cour a procédé à une évaluation minutieuse des caractéristiques du conflit armé sévissant à Haïti. Ainsi, elle a relevé que l’assassinat du président haïtien en juillet 2021 avait permis l’émergence d’un nombre important de gangs dont les trois principaux, composés notamment d’anciens policiers, bénéficient de moyens matériels et financiers importants et dont l’action s’étend actuellement bien au-delà de la capitale, Port-au Prince, qu’ils contrôlent déjà dans sa quasi-totalité. La Cour relève qu’à l’effondrement des institutions du pays, et notamment de la police nationale haïtienne confrontée à un phénomène de démissions massives, s’ajoute également l’augmentation et l’extension des affrontements ainsi qu’une intensification préoccupante du ciblage des civils, victimes du recours massif à la violence sexuelle, aux enlèvements et aux meurtres depuis la fin de l’année 2022. Prenant acte de la résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en octobre 2023 qui autorise le déploiement d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité dans le pays compte tenu des craintes que fait peser la situation d’Haïti sur la paix, la sécurité internationale et la stabilité dans la région, la Cour en conclut que le conflit armé interne sévissant dans le pays se caractérise par une violence aveugle, atteignant plus particulièrement une intensité exceptionnelle à Port-au-Prince ainsi que dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite.
Dans le cas d’espèce qui lui était soumis, si l’absence du requérant n’a pas permis à la Cour d’établir qu’il aurait vocation à revenir à Croix-des-Bouquets ou à traverser la capitale alors que le nord du pays bénéficie également d’un aéroport, elle a estimé néanmoins que les fragilités physiques et mentales du requérant, attestées par de nombreuses pièces médicales, constituaient en tout état de cause des éléments d’individualisation justifiant l’octroi de la protection subsidiaire (CNDA Grande Formation 5 décembre 2023 M. A. n°23035187 R).

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