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12 avril 2017

La CNDA précise la définition du groupe social des femmes nigérianes victimes d’un réseau transnational de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle qui sont parvenues à s’en extraire ou ont entamé des démarches en ce sens.

La CNDA reconnaît la qualité de réfugiée à une ressortissante nigériane qui résidait dans l’État d’Edo menacée de représailles de la part du réseau de traite auquel elle a échappé en France. Pour estimer que les éléments du dossier permettaient d’établir que Mme F. avait été victime d’un réseau transnational de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et qu’elle était parvenue à s’extraire de ce réseau, le juge de l’asile a notamment pris en compte un récépissé de dépôt de plainte pour proxénétisme aggravé et traite d’êtres humains en bande organisée, ainsi que des attestations de prise en charge de l’intéressée établies par le dispositif national d’accueil et de protection des victimes de la traite (AC.SÉ).

La cour rappelle que la traite est qualifiée de crime au regard du droit national et international, et la définit comme le fait de recruter, de transporter et d’héberger des personnes à des fins d’exploitation de leur corps ou de leur force de travail, en usant sur les victimes de maltraitances physiques et psychologiques, de l'enlèvement, de l’enfermement, de la tromperie, de l'abus d'autorité ou de l'exploitation d'une situation de vulnérabilité. Elle juge dès lors que la traite des femmes organisée par un réseau criminel transnational à des fins d’exploitation sexuelle constitue une persécution.

Dans le cas d’espèce, la cour s’est appuyée sur les informations publiquement disponibles selon lesquelles la traite transnationale aux fins de prostitution, si elle s’est principalement implantée et développée dans l’État d’Edo, concerne aujourd’hui l’ensemble du territoire nigérian, les femmes enrôlées ayant été le plus souvent victimes d'une tromperie assortie d'une contrainte physique et/ou psychologique, celles originaires de l’État d’Edo ayant été soumises à un rituel sorcier, dit « juju », censé les lier magiquement à leurs proxénètes.
Malgré l’adoption d’une loi condamnant le proxénétisme et la création de l'Agence nationale pour l'interdiction de la traite des êtres humains (NAPTIP) par la République fédérale du Nigéria, en 2003, ainsi que la pénalisation de la traite des êtres humains par l’État d’Edo, depuis 2000, les moyens manquent pour accueillir et protéger durablement les victimes de la traite transnationale à des fins de prostitution rentrées au Nigéria.
Lorsqu’elles rentrent dans leur pays sans s’être acquittées de la dette contractée auprès du réseau qui les a recrutées, a fortiori dans le cas où elles ont dénoncé celui-ci aux autorités françaises, ces victimes ne peuvent espérer reprendre une vie normale au Nigeria et s’exposent à un risque sérieux de marginalisation, y compris vis-à-vis de leur propre famille, voire à une menace d’être renvoyées en Europe par le réseau. Ces femmes, dès lors qu’elles sont parvenues à s’extraire de ces réseaux ou ont entamé des démarches en ce sens, partagent une histoire vécue et un statut de victime qui présentent des caractéristiques communes, constantes et spécifiques, et qui leur confèrent une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante et les institutions, qu’il s’agisse des trafiquants, de la population et des familles ou de la puissance publique, de sorte qu’elles constituent un groupe social au sens de l’article 1A2 de la convention de Genève, sans pouvoir espérer une protection effective de la part des autorités nigérianes sur une quelconque partie du territoire du Nigéria (CNDA grande formation 30 mars 2017 Mme F. n° 16015058 R).

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